PERSONNAGE 1
PERSONNAGE 2
PERSONNAGE 3
PERSONNAGE 4
Une salle, des chaises
en plastique de couleur et dépareillées, alignées en deux rangées face à un
mur. En haut du mur, un panneau affichant un numéro qui change régulièrement,
selon un ordre aléatoire.
PERSONNAGE 1
Et vous, pourquoi vous êtes là ?
PERSONNAGE 2
Moi ? j’en sais rien !
PERSONNAGE 1
Assassinat, jalouserie, gloutonnerie, enfin, quelque chose
comme cela ?
PERSONNAGE 2
Non, non. Rien du tout. Une vie impeccable : bon fils,
bon mari, bon collaborateur, bon père, bon grand-père, bon malade. Tenez, même
le chirurgien, il a regretté. C’est dire.
PERSONNAGE 1
Alors, c’est une erreur judiciaire.
PERSONNAGE 2
Oui, c’est ça, une erreur judiciaire. Je leur dirai quand
ils m’appelleront.
PERSONNAGE 1
C’est quand même bizarre que vous n’ayez rien à vous
reprocher… Et les animaux, vous en faites quoi des animaux ?
PERSONNAGE 2
Ah ? Vous croyez que ça compte ?
PERSONNAGE 1
J’en sais rien. C’est impénétrable, non ? Les chiens,
les chats, les vaches, les fourmis. Il y en a même qui disent qu’il faut pas
manger de graines, qu’elles portent la vie. Vous imaginez ? Vous mangez
une baguette de pain et voilà que vous avez tué votre prochain, réincarné en
épi de blé. Pas de bol !
PERSONNAGE 2
Ah ? Les chiens aussi ? Parce que mon chien, oui,
j’ai dû le faire piquer. Il était malade. C’était pour qu’il ne souffre pas. Pauvre
Pépère, tenez, j’en ai les larmes aux yeux. (Il
éclate en sanglots)
PERSONNAGE 3 (assis sur la rangée devant)
Hé, Ho ! Vous allez vous taire ? J’arrive pas à me
concentrer.
PERSONNAGE 1
Vous concentrer sur quoi ? On ne fait qu’attendre ici.
PERSONNAGE 3
Votre copain, il ferait mieux de s’apitoyer sur son sort. Moi,
ça fait trois cent cinquante-quatre ans que j’attends.
PERSONNAGE 1
Alors, ça doit être très grave…
PERSONNAGE 3
Ça, c’est vous qui le dites. Bon, elle criait un peu trop
fort, alors j’ai dû insister pour la faire taire… un peu trop. Préméditation qu’ils
ont dit. Tu parles, j’étais bourré, ouai. Bien torché. Tenez, si elle était là,
elle vous le dirait. Mais elle est montée directement au deuxième étage.
PERSONNAGE 1
C’est dommage qu’ils ne vous aient pas mis ensemble
PERSONNAGE 3
Ah, ça, monsieur, j’y pense tous les jours. D’autant qu’il n’y
a pas beaucoup de distraction ici… Et vous ? C’est pourquoi ?
PERSONNAGE 1
Moi, c’est une longue histoire. J’étais homme politique.
Vous comprenez, les menteries, les promesses qu’on sait d’avance ne jamais
tenir…
PERSONNAGE 3
Je vois. Monsieur est un causeur…
Entre le quatrième
personnage. Il hésite, regarde le compteur, semble chercher quelque chose et
finit par s’assoir au premier rang à côté du troisième personnage. Attente.
PERSONNAGE 4
Monsieur ?
PERSONNAGE 3
Ouaip ?
PERSONNAGE 4
Le numéro qui s’affiche, là…
PERSONNAGE 3
Ouaip ? Quoi, le numéro qui s’affiche là ?
PERSONNAGE 4
Eh bien, vous savez où on peut se procurer un ticket avec un
numéro ? Rapport à l’attente, vous comprenez ?
PERSONNAGE 3
Yapa de distributeur.
PERSONNAGE 4
Ah bon ? Pas de distributeur de ticket ? Mais
alors, comment vous faites pour savoir à qui c’est le tour ?
PERSONNAGE 3
Yapa de tour.
PERSONNAGE 4
Pas de tour ? Mais il faut bien y passer non ?
PERSONNAGE 3
Zavez qu’à attendre. Comme tout le monde.
(Silence)
PERSONNAGE 4
Monsieur ?
PERSONNAGE 3
Ouaip ?
PERSONNAGE 4
Ça fait combien de temps que vous attendez ?
PERSONNAGE 3
Trois cent cinquante-quatre.
PERSONNAGE 4
Trois cent cinquante-quatre jours ? Mais c’est dingue !
PERSONNAGE 3
Trois cent cinquante-quatre ans, trois mois, douze jours,
cinq heures et quatorze minutes. Bientôt quinze.
PERSONNAGE 4
(Ébahi). Et vous
attentez toujours votre tour ? Sans ticket ? Les autres ont dû passer
devant vous !
PERSONNAGE 3
Ecoute, mon pote : t’es gentil, mais ça y est, l’Enfer,
t’y es. Alors, tu fais comme tout le monde : tu fermes ta gueule et t’attends.
Avec un peu de chance, si les autres marioles en bas de se sont pas gourés, un
jour, tu passeras au Jugement dernier. On en reparlera à ce moment, de ton
ticket. Okay ?