mercredi 31 décembre 2014

[Fiction 52] : Happy new year Hollywood !

 
Moi, William, je vous le dis, et je le dis à cette p… d’autoroute qui n’en finit pas, je le jure solennellement, devant le bon dieu et tous ses saints que, comme je m’appelle William, dans un an, mon scénario, ici-bas reproduit dans une clé USB rangée dans la sacoche posée sur le siège passager de ma voiture que j’ai l’honneur de conduire ce soir de réveillon pendant que tous ces cons s’embrassent et boivent leur champagne tiède, que donc mon scénario sera produit par le meilleur des meilleurs studios de Hollywood et que le film sera un tel succès que toutes les filles me tomberont dans les bras ou plutôt, non, mieux que cela, que je serai tellement mystérieux – c’est qui ce William qui a écrit le scénar génial de ce film dément ? on l’a jamais vu ? pas de photos ? – que je vivrai tellement caché du reste du monde que les paparazzi et les groupies paieront des fortunes pour découvrir que j’habite une deux pièces miteux au fond d’un immeuble défoncé de L.A. et que c’est là que j’ai eu l’inspiration divine pour écrire ce scénario construit avec des mots construits avec des lettres, les vingt-six lettres de l’alphabet, alpha, beta, gamma et un et deux et trois je… mais qu’est qu’il fout celui-là au milieu de la route, m… !!!

« William Sinclair… Le pauvre gars, encastré dans le camion, il s’appelait William Sinclair ; c’est ce qui a d’écrit sur son ID. Et je ne sais même pas où il allait. Probablement à Los Angeles. T’es marrant, où veux-tu qu’il aille, il n’y a pas d’autre ville avant L.A. sur cette autoroute. Et moi, plutôt que de faire le flic sur cette p… d’autoroute, je serais dix mille fois mieux avec les copains devant ma cheminée à boire du champ’. C’est toujours triste, des gens qui se flinguent un 31 décembre.
 
 

FIN
de la saison un

 Retrouvez Harry, Jo, Mary, William
et tous les héros de votre série préférée
dans la saison deux de

Blog, et autres nouvelles


[Fiction 51] : Happy new year all over the world.

 
123 mots. Mary habite Sidney, elle est donc parmi les premières à fêter le nouvel an. Elle se dit que, en prenant un avion un peu rapide, eh bien elle pourra fêter l’année tout le temps, en faisant le tour de la planète. Après Sidney, elle partirait pour Hong Kong, puis Dubaï, Londres, New York, Chicago, Vancouver, Hawaï et, à chaque fois, champagne, embrassades, happy new year et tout le tintouin, la fête éternelle. Au douzième coup de minuit à Hawaï, elle embarque pour Wellington, en Nouvelle Zélande. Sauf que, ce coup là, descendue de la passerelle, il ne se passe plus rien : Mary a traversé la ligne de changement de date et, le 2 janvier, il ne se passe jamais rien à Wellington.

mardi 30 décembre 2014

[Fiction 50] : Primogéniture.


160 mots. Henri a réuni ses trois frères cadets pour leur annoncer que l’héritage, il leur donnait, lui, l’ainé, à la seule condition que, tant qu’il vivrait, ils lui permettent d’acheter autant de livres qu’il voudrait, c’est tout. Les trois sont repartis en se frottant les mains et en refaisant le calcul des rentes et produits qu’ils allaient désormais récupérer. Après tout, la primogéniture, c’est une iniquité, non ?
Henri a ainsi pu réunir la plus importante collection de livres d’Angleterre, grâce au financement et à l’indulgence de ses trois cadets. Lorsqu’il est mort, on en a retrouvé partout, de la cave au grenier de la petite maison qu’il occupait au fond du parc du château. « Mais, il n’y a que des romans de gare ! s’est exclamé le premier frère.
– Quel gâchis, a dit le second.
– Plaint-toi : il aurait pu rechercher les éditions rares. Il nous aurait ruinés. »
Quant à la collection d’Henri, elle a fini au pilon.

dimanche 28 décembre 2014

[Fiction 49] : La révolte des chapons (un autre conte de Noël).

 
C’était, au départ, un obscur groupuscule, qui faisait plus rire qu’autre chose. Mais quand ils ont remporté 12% des voix aux régionales, là, plus personne n’a trouvé cela drôle. Programme ridicule, restaurer la fabrication du foie gras, réimplanter la culture du chapon, supprimer le jour international de la basse cour, institué par l’ONU le 25 décembre, pouah, tout cela sentait vraiment mauvais. Et puis ça a continué, ils ont atteint 18, puis 32% des voix au fil des élections. L’Union européenne tremblait sur ses bases, des comités de Défense de l’Intégrité des Poules et des Oies se sont créés un peu partout pour faire rempart au déferlement de la Réaction. Mangeurs de foies, massacreurs de dindes, plumeurs de poules, les insultes inventées par l’establishment végétarien de l’UE n’avaient pas prise sur le clan des carnivores qui montait, montait, jusqu’à menacer de prendre le pouvoir. Les Nouveaux-Etats-Unis d’Amérique, inventeurs du système de pensée unique végétal, ont menacé de rompre les relations diplomatiques, la néoURSS a agité le spectre d’un rationnement du gaz : couic, pas de gaz, pas de chapon grillé, au moins, c’était clair. Des manifestations monstres anti et pro végétariens se sont tenues à Berlin, Copenhague et Madrid. Ça chauffait dur.

Enfin Dieu est apparu, ou plutôt, c’est le saint père qui, de sa voix inspirée par le divin, a su apaiser les conflits. Désormais, sous réserve d’une décharge signée des volatiles concernés, il était autorisé de manger du poulet une fois par semaine, le vendredi. Miam !


samedi 27 décembre 2014

[Fiction 48] : Qui est Jo ?

 
Jo (c’est le nom que les gars du FBI avaient donné au webmaster qu’ils avaient dans le collimateur), Jo, donc, était réputé incoinçable. Nul ne savait d’où Jo intervenait ni où était hébergé son site, mais ce qui était sûr, c’est que, quel que soit le jour et l’heure, à midi ou à minuit, grâce à Jo vous aviez accès à la meilleure dope du marché et, enchères faites sur son site, vous pouviez vous faire livrer tranquillement par DHL, ni vu ni connu, au nez et à la barbe des autorités fédérales. Car Jo gérait un site d’enchères en ligne qui mettait producteurs, intermédiaires et clients en relation.
Ce petit jeu avait duré des années, le site de Jo prospérant avec l’expansion du commerce en ligne. Il était devenu le Ebay des activités illicites avec, après le crack et la coke, son core  business, de nouveaux onglets dédiés à la prostitution, aux cigarettes, au racket, à l’achat de contrats et autres trafics. Tout ce qui avait une valeur de marché, moyennant la commission de 5% de Jo, trouvait preneur sur le site d’enchères du génial geek.
Ils finirent par identifier Jo, ou plutôt son numéro de portable, pour une histoire de commission non payée. Jo avait recruté un tueur sur son propre site pour punir son client indélicat et, le contrat honoré, avait voulu payer en avances sur commissions. C’était petit : un vrai mafieux aurait aligné des billets de cent dollars bien propres, sans discuter. Mais que voulez-vous, on ne se refait pas ; Jo ne palpait jamais de liquide et tous ses profits dormaient au chaud sur le compte d’une banque caraïbe. C’est à cause de cette histoire que les fédéraux avaient pu repérer la trace laissée par les textos que Jo avait envoyés à son tueur contractant. Jo crêchait dans un appartement sur le campus d’une université de l’Ontario, un petit deux pièces qu’elle partageait avec des copines étudiantes, comme elle. Car Jo était encore étudiante, ça, les fédéraux ne s’y attendaient pas.

vendredi 26 décembre 2014

[Fiction 47] : Archéologie préventive en Asie centrale, planète Terre (interview parue dans la revue Arch’today).

 
Arch’today : Professeur B., vous avez publié dans la revue Nature du 14 juin 50012 un article décrivant la découverte d’un village antique. Pouvez-vous en quelques mots, retracer cet événement à nos lecteurs ?
Pr B. : Il s’agit en effet d’un site tout à fait intéressant, mis à nu dans le cadre du percement d’une ligne solaire à grande vitesse, dans une région assez peu empruntée de la planète Terre. Les travaux de terrassement ont permis de mettre à nu, dans le cadre d’un programme d’archéologie préventive, un village entier, pratiquement intact, datant semble-t-il du 20ème ou 21ème siècle de notre ère.
A. T. : Pourtant, ce n’est pas si remarquable, que de découvrir un village ou une ville de cette époque.
Pr B. : En fait si. Nous trouvons en effet de manière répétée des fondations de monuments ou des traces d’ouvrage en béton, un matériau massivement utilisé à l’époque, fait de ciment et de gravier. Mais il ne s’agit que de traces, les couches plus modernes d’occupation ayant fait leur œuvre de destruction.
A’T. : Et donc, cette fois-ci, le village est intact, c’est cela ?
Pr B. : Oui, en parfaite conservation. Comme s’il avait été figé en un jour et que plus personne n’était revenu depuis. On a même trouvé des reliefs de repas sur des tables, des traces de journaux etc. C’est tout à fait passionnant.
A’T. : Comme si, par exemple, une épidémie, une éruption volcanique, avait annihilé toute vie dans ce village ?
Pr B. : Le village s’est littéralement vidé de ses occupants, ils sont certainement partis, pour une raison que nous ignorons et, ce qui est remarquable, c’est que personne n’est jamais revenu après, pendant des siècles, d’où la conservation presque parfaite.
A’T. : Que savons-nous de plus de ce village et de la catastrophe qu’il a connu ?
Pr B. : Pas grand-chose, en dehors de son nom, que l’on a identifié sur une plaque à l’entrée de la rue principale dont voici la reproduction : Чернобыль. L’alphabet nous est mal connu, et notre équipe d’épigraphes s’est penché sur le déchiffrement de cette inscription. Vous savez que nous avons du mal à traduire les voyelles mais cela donnerait quelque chose comme Charnebil, ou Chernibel  ou Chernobel, quelque chose avoisinant.

jeudi 25 décembre 2014

[Fiction 46] : Un conte de Noël.

 
C’est l’histoire de Jacky, jeune femme fraîchement arrivée de sa campagne pour aller travailler à la ville. Elle trouve emploi chez un vieux couple de rentiers du 8ème arrondissement et vit ainsi modestement toute sa vie. Elle a un fils avec dieu sait qui et l’élève dans sa chambre. Son seul luxe, c’est le gâteau de Noël qu’elle lui prépare ; elle part plusieurs mois avant l’Aven cueillir des baies dans la forêt au bout de la ligne de Saint-Lazare, et achète des ingrédients délicats à l’épicerie de la rue du Boccador, toutes ses économies de l’année passent ainsi dans son gâteau, une merveille, qu’elle fait cuire le matin de Noël pour le lever de son tendre fils qui, lui aussi, se contente de peu, sauf le gâteau.
Son fils est un prodige, il va à l’école du quartier, puis fait des études de mathématiques si bien qu’il finit aux Indes, dans une belle université avec des pelouses taillées de près et la statue du fondateur à l’entrée, elle l’a vu sur la carte postale qu’elle a reçue de lui lorsqu’il s’y est installé. Le Noël qui suit son départ, elle pense qu’il va revenir pour le gâteau, mais lui ne peut pas, tu comprends, c’est loin l'Inde et le voyage coûterait bien cher. Ça l’attriste alors, son gâteau, elle décide de le faire goûter aux passants, au marché de Noël du quartier, sur le comptoir d’une petite cabane de bois qu’elle partage avec une amie. Tout le monde s’émerveille et lui en redemande, mais il n’y en a plus alors on lui commande un autre gâteau comme celui là et elle dit que oui, elle veut bien en refaire un autre, elle aussi ça lui fait plaisir que son gâteau plaise aux voisins.
 
Au bout du troisième mois, son gâteau a tellement de succès qu’elle est obligée de le faire payer. Douze francs cinquante, ce n’est pas bien cher pour ce que c’est.
Au bout du sixième mois, elle sous-loue la chambre d’à côté pour y stocker de nouvelles casseroles et ses ingrédients.
Au bout du huitième mois, elle embauche une employée pour l’aider et ouvre son site Internet.
Au neuvième mois, elle démissionne de chez ses patrons, les deux paisibles rentiers de la rue du Boccador, et se consacre toute entière à la fabrication de ses gâteaux.
Au dixième, elle fête son premier million de chiffre d’affaires.
Au onzième, elle achète un entrepôt en banlieue, dans lequel elle installe une cuisine industrielle.
Au vingtième mois, elle recrute un CEO pour gérer l’entreprise, elle se concentrant sur la production et le suivi de la qualité et ainsi de suite, je vous passe l’épisode de la concurrence déloyale, des premiers mouvements sociaux chez les employés de cuisine et de son voyage triomphal aux Etats-Unis, à l’occasion de son introduction au NYSE.
Au bout de la troisième année, son fils lui écrit en lui disant qu’il a trouvé femme et qu’il voudrait bien lui faire goûter le gâteau de Noël de maman. Ils arriveront pour les fêtes par l’avion de 6h45 et il lui joint une photo du couple, sa femme toute menue et lui avec une grosse barbe que sa mère ne lui connaît pas.
Elle lui fait répondre qu’elle se réjouit de le voir, mais que ce sera difficile à cette période, à cause du coup de feu de fin d’année. Le gâteau de Noël, il le trouvera sous cellophane à son arrivée ; ils fêteront cela plus tard, quand elle aura le temps.

dimanche 21 décembre 2014

[Fiction 45] : Cadence occidentale.

 
100 mots. Liu s’est approché de la mezzanine et a regardé vers le bas la mer des petites boîtes avec les ouvriers alignés et le vrombissement inouï des machines emboutissant taillant assemblant les composants et les écrans pour les grands blonds de l’au-delà des mers.
Liu a enjambé le bord et s’est jeté dans le vide et avec il a jeté la campagne ses frères l’argent qui compte le soleil au bord de la rizière désespoir.
On a retrouvé le corps de Liu au milieu des écrans tactiles déchiquetés. Le lendemain, la direction faisait installer un filet sur la mezzanine de l’usine.
 

dimanche 14 décembre 2014

[Fiction 44] : La princesse au petit pois.

 
99 mots. La princesse n’aimait pas les petits pois, elle était compliquée, exigeante, vous voudrez bien me remplacer ce plat, s’il vous plaît ? Mais si jolie, on lui pardonnait. Le temps a passé, et on n’est pas jolie bien longtemps. Elle n’a pas changé, elle demande toujours à changer de plat, comme ça, pour le plaisir de faire déplaisir. Et les garçons haussent les épaules, en remportant l’assiette. Elle a eu de la chance de trouver mari. Un jour, c’est lui qui l’a renvoyée, comme un plat : il avait rencontré une princesse, délicate, jolie, qui aimait les petits pois.

samedi 13 décembre 2014

[Fiction 43] : Deux frères.


178 mots. Deux frères s’aimaient d’amour tendre. L’aîné, le préféré, était celui à qui on préparait une chambre de jeune homme, quand les autres partageaient le dortoir sous les combles. Avec son cadet, ils jouaient à la guerre et, comme c’était le plus beau et le plus fort, il gagnait toujours, le préféré de ces dames, le chouchou des cours de récré. Et puis les choses ont passé, lui, le flamboyant, était toujours sur un coup, une affaire en or, une spéculation qui en ferait un homme riche et adulé ; le cadet, c’était le laborieux, moine défroqué qui devait devenir un grand avocat, défenseur de la veuve, de l’orphelin, du massacreur et de l’entreprise déshonorée. Son aîné s’amusait à débarquer, sans prévenir, dans son cabinet, confondant secrétaires et stagiaires de sa superbe, et puis il a sombré.
Bien des années plus tard, alors qu’il faisait son jogging, le cadet l’a retrouvé, avachi sous un pont, baignant dans sa crasse. Il s’est assis à côté de lui et, ensemble, ils ont regardé l’eau de la Seine qui coulait devant eux.

lundi 8 décembre 2014

[Fiction 42] : Jimmy.

 
Mon Jimmy,
Quand tu as chanté, hier soir au concert, Love me hard, j’ai tout compris : j’ai vu que tu me regardais moi, ta fan la plus fidèle, moi ta Griochka (je te dis Griochka car je sais que tu appelais ta grand’ mère comme cela quand tu était petit, je l’ai lu, c’est donc vrai de vrai), oui, moi, ta Griochka qui a cumulé 25.000 kilomètres sur le compteur de son camping-car à te suivre dans tes tournées, j’en ai tracé des routes pour arriver le soir et t’écouter, tu dois bien me reconnaître chaque fois, je suis sur la droite, je me mets là parce que je sais que c’est de ce côté que tu regardes le plus souvent, je te l’apprends peut-être parce que j’ai bien scruté les vidéos sur Youtube et avec ma copine Fabienne on a fait le pari, elle pensait à gauche, moi je disais à droite, je sais que j’ai raison mais Fabienne n’est pas là pour avoir tort, elle m’a abandonnée la semaine dernière, elle était fatiguée de toutes ces routes en camping-car (je ne prends jamais l’autoroute, c’est trop cher) je la comprends parce que c’est dur, surtout l’hiver, quand tu dois trouver un endroit où ranger le bahut sans te faire tirer les affaires dedans, tu n’attires pas que des gens bien Jimmy, je te le dis et je te dis aussi : tu m’as fait de la peine, l’autre jour, sur l’interview que tu as postée sur Facebook, j’en ai pleuré toutes les larmes de mon corps, ton coming out, fallait pas le faire, c’est idiot, tu vas pas te mettre avec un autre mec, c’est moi qui t’aimes, tout ça c’est ce que je me suis dit au début mais après j’ai compris quand tu m’as chanté ton tube les yeux dans les yeux, j’ai bien vu que c’était une ruse, un truc pour qu’on te laisse tranquille avec moi, tous les deux, contre tous, par les routes, à jamais, Jimmy je t’aime, Jimmy je te veux.

dimanche 7 décembre 2014

[Fiction 41] : La carte de Paul.

 
« Eh bien, on se verra au soleil, leur avait-il dit. » Paul et sa femme sont venus au soleil, en Andalousie, répondant à son invitation. Des jours de voyage. Ils se sont installés à l’auberge locale, sur le port, ils lui avaient envoyé un petit mot pour le prévenir qu’ils étaient là, la joyeuse bande venue de Paris, incroyable au milieu de ce trou, à mille lieues de leur base. Ils se sont donné rendez-vous au café, et c’est là qu’il a retrouvé son ami Paul. Sa femme, il ne la connaissait pas, ce fut fulgurant lorsqu’il a croisé son regard perçant et sa beauté androgyne. Il l’a invitée à se promener sur les rochers ; il a ramassé un petit bout de bois tortueux qu’il conservera toute sa vie, porte bonheur. Le lendemain, alors qu’ils se baignaient dans une crique, il a voulu l’impressionner et est descendu, nu, le corps enduit de bleu de méthylène que sa sueur sous le soleil faisait couler, aspergeant les rochers, puant la merde de chèvre. Et quand il l’a rejointe dans sa chambre, un panier d’oursins à la main, c’est elle qui étaient nue derrière la porte.
Elle est restée avec lui, le bel andalou, elle, la fille de l’Est qui n’avait rien à faire ici, mais on s’en fout de la famille arriérée, la fulgurance, c’est pour la vie et même au-delà, après la mort, à jamais sur les milliers de toiles dont elle serait l’inspiratrice.
Paul est reparti avec ses amis. Il a envoyé une carte postale de Barcelone à sa femme Gala, une carte qui représente la Sagrada Familia, avec ces simples mots « meilleures pensées ». De son ami Salvador, il n’était pas question.

samedi 6 décembre 2014

[Fiction 40] : Jardin orphelin.

 
Il y eu des petits papiers, des dessins copiés, collés dans des courriers électroniques, des schémas qu’il était seul à comprendre. De la cour, il en était toujours question, mais pour plus tard, après qu’on aurait aménagé la prairie, là-haut, n’est-ce pas ? Des chemins ont été tracés dans le chiendent, c’était royal comme à Marly, de belles perspectives qui ne menaient à rien, juste des paysages au loin qui faisaient statues.
Tout cela a été long, sept années où chaque quartier a regardé l’autre en lui disant : « tu n’es que boue, mais voit ma ramure, voit ma vigueur, dans un an, deux ans peut-être ? » Et puis, un jour, il s’est attaqué à la cour, une fontaine avec des parterres géométriques de part et d’autre, ça fait médiéval, sauf que c’est tout en métal corten, si doux sur le vert du gazon.
Il est venu une dernière fois. Il a posé une petite porte, la porte du jardin, en bois qui fait clac quand on la ferme et qui s’ouvre dans les deux sens. Une semaine plus tard, il était mort.
Le jardin s’est couvert de neige. Il y a quelques fétus qui dépassent, orphelins. L’hiver passe ainsi, dans le repli et l’oubli. Du jardin, il n’est plus question, à quoi bon. La neige continue de tomber, et puis elle finit par fondre.
On voit un minuscule crocus qui pointe entre les névés, et puis les narcisses et les tulipes blanches et les primevères qu’on a fait venir de l’Himalaya, si drôles avec leur tête rouge et puis toutes les vivaces sont là, de retour, qui préviennent que, des roses de mai aux dahlias de l’automne, le jardin n’en finira pas de bruire au rythme de la pensée du jardinier.
En hommage à Alain Richert, 1947-2014

mercredi 3 décembre 2014

Gérard de Nerval (1808-1855), auteur d’El Desdichado.

 

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

[Fiction 39] : Le nettoyeur.

 

Je suis le nettoyeur, le dieu, le purifié,

Le prince de la console aux doigts de souris

Des toux, des claques, des voix, je traque le bruit,

Et de vos concertos vous restitue la beauté.

 

De la porte qui irrite votre baignoire,

Déshonorant l’air de la reine de la Nuit,

Comptez sur moi, demain il n’y en restera rien.

 

En quelques jours, grâce à mes tables de mixage

Je vous en restituerai le son le plus pur

Céleste, l’éther sur Terre, avec moi le paradis.

 

L’autre jour, un inconnu m’a envoyé un 

Enregistrement du Stabat Mater. C’était

Tellement beau que j’en avais les larmes aux yeux.

Sauf que, en plein O quam tristis, un grand boom, comme

Un gros furoncle. Là aussi, j’ai tout nettoyé,

Reconstitué la quintessence des voix

Du céleste duo. Un travail titanesque,

Magistral, du bel ouvrage. Mon client était

Si impressionné par mon talent qu’il m’en a

Envoyé d’autres comme celui là, du vrai

Caviar mais avec, chaque fois, le fameux boom.

 

Ça m’a intrigué. J’ai isolé le son, j’ai

Cherché dans ma bruitothèque (je fais collection

Des bruits, j’en ai quinze tétra octets en stock)

Et j’ai dû me rendre à l’évidence : ce n’était

Pas une porte qui claquait, même la chute

D’un micro, mais bien le son d’un coup de feu. Clac.

 

Depuis, moi, le nettoyeur, je vis la terreur,

Ils sont tout près, embusqués, viendront me saisir

Pour me détruire, et mon œuvre de nettoyeur

Divin, sublime, au néant vont la réduire.

[Fiction 38] : La télé, c’est compliqué (trois).

 
Ah ! les plaisirs de la télé. Ah ! les longues soirées d’hiver à caresser l’écran magique… Voyez la digital natural image engine ou le movie plus, ajoutez un sublimateur de couleurs et un mode Jeu, et vous verrez, le format vous sublimera. Ah ! le format (très important, le format, quand il s’agit de la regarder dans un coin du salon). Celui là se devra d’être  HD Ready, avec une entrée HDCP, le tout en  16:9, sans compter qu’il vous faudra du YUV à 720 lignes minutes en 720p/1080i et un traitements de l'image en progressive scan à balayage en une seule passe et une résolution de  1366 x 768, n’hésitez pas là-dessus. Mais attention : faites valoir vos exigences ; réclamez un temps de réponse de 8 ms, une luminosité de 550 cd/m² et un taux de contraste de 8 000:1 et vous sentirez en vous monter l’indicible pureté du monde, surtout si vous êtes branché sur un tuner stéréo à recherche et mémorisation automatique ou manuelle des chaînes, réglage fin manuel des canaux, gestion des favoris, compatible TNT SD MPEG2 (mais, s’agissant de flux de 1ère génération, ils sont non-utilisable avec des flux HD). Et vous verrez : la télé c’est compliqué, mais bon, au final, honni soit qui mal y pense.


mardi 11 novembre 2014

[Fiction 37] : Rêve de singe.


Sirènes qui hurlent, le froid sous mon manteau, je dois y aller, les gens fuient dans l’autre sens, vers le nord et moi je descends vers le sud, n’y allez pas, une femme paniquée, son enfant dans les bras et le père derrière qui tire une valise, c’est donc qu’ils ont eu le temps de la préparer, celle-là ? À l’angle de Bryant Park, un type est monté sur un banc et lit à haute voix ce que j’imagine être l’Apocalypse, mais en fait c’est le début de Moby Dick « Call me Ishmael… » et la foule continue, je tourne sur la 42ème puis à droite la 5ème avenue. Au pied de l’escalier de la bibliothèque publique, une poussette abandonnée, je lis le nom du fabriquant, un nom d’écurie de course, quel détail idiot, et que fait ce landau au pied de l’escalier ? On a déjà vu ça. Plus loin, deux policiers veulent m’empêcher de passer, je leur dit un truc incompréhensible en désignant la tour, ils se mettent au garde-à-vous et je continue. Ici, la foule stagne, silencieuse, pendant que, dans le ciel, vrombissent les avions de chasse et je lève les yeux pour le voir, voir sa masse noire accrochée à la lanterne de la tour, brandissant le poing, sa masse noire qui vacille puis qui, lentement, tombe, pendant que la foule hurle de peur ou de joie de voir le grand singe, le roi Kong enfin vaincu, venir s’écraser à ses pieds.

mercredi 5 novembre 2014

[Fiction 36] : La télé, c’est compliqué (deux).




– Faut pas vous garer là.
– Où ça, « là » ?
– Ben là, c’est interdit, zavez pas vu le panneau ?
– Monsieur, vous savez qui je suis ?
– Qui vous êtes ?
– Oui, qui je suis. Regardez pas la télé ?
– Ben si, je la regarde. Alors, c’est ça, c’est une blague ? Elle est où la caméra cachée ?
– Je vous ai pas dit qu’il y avait une caméra ici, là, présentement !
– Alors quoi ?
– Alors, c’est moi qui passe à la télé. Vous me reconnaissez ?
– Attendez… laissez-moi deviner… La pub pour Saupiquet, c’est pas vous. Zêtes pas la fille qui conduit la bagnole à toute blinde dans la montagne…
– Non, mais, je rêve ! C’est quoi ce type ?
– Ayai, je sais : vous êtes la nana de la pub des piscines Lejoyeux. Ah là là, à chaque fois que vous passez, ma femme me fait les gros yeux. Rapport au maillot de bain, vous comprenez ?
– Je ne fais pas de pub ! Si vous me voyez à la télé, c’est que je suis le maire de cette p… de ville et que c’est moi qui vous paye tous les mois. Alors, f… moi la paix et dégagez !
– Holà, ma petite dame, faut pas vous énerver comme ça ! Que vous soyez mairesse ou papesse, ça change rien : faut pas vous garer là.
– Où ça, « là » ?
– Ben là, c’est interdit, zavez pas vu le panneau ?

mercredi 22 octobre 2014

[Fiction 35] : Lettre de Houat.



Bonjour très cher,
Recevez mes très sincères salutations et compliments et veuillez m’excuser de ma présente intrusion dans votre intimité.
Que Dieu vous bénisse, vos proches et ceux que vous aimez. Mon nom est Madame Michèle B. Lemaire, cadre échelon IV au service comptabilité et affaires spéciales de la Banque Smith & Wakeson’s, agence de Belgravia à Londres, Royaume Uni. Si je vous écris aujourd’hui, c’est que j’ai été amenée à découvrir, à l’occasion de mes activités professionnelles, l’existence d’un compte détenu par un certain Jeremy Da Silva, décédé il y a huit ans après avoir exercé le métier de trafiquant de cocaïne et autres substances réputées illicites sur le territoire des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne. Ce compte n’a connu aucun mouvement depuis le décès dudit propriétaire, mort sans postérité d’aucune sorte, ni épouse, ni enfants, ni famille proche ou lointaine, ni aucune autre espèce animale vivante, tous ayant été décimés par la vendetta qui l’opposait au cartel concurrent de San Spirito et qui est la cause de sa disparition, que Dieu sauve son âme. Le compte présente à ce jour un solde créditeur de huit millions deux cent cinquante-trois mille quatre cent douze livres sterling (£ 8,253,412) de bel et bon argent garanti par la banque d’Élisabeth la seconde, par la grâce de Dieu reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la foi, duc de Normandie et seigneur de Man.
Je voudrais que vous acceptiez de recevoir cet argent et que vous l’utilisiez, à votre choix et en suivant l’inspiration divine, pour vos œuvres, qu’elles soient caritatives ou mercantiles, en ayant pris soin préalablement de m’en avoir reversé quarante pour cent (40%) sur un compte domicilié sur l’île de Houat, en Bretagne française, dont je vous indiquerai, par un courrier ultérieur, les coordonnées.
Pour cela, il me faudra le numéro de votre compte, le numéro de votre carte de crédit, son mot de passe, ainsi que votre numéro de sécurité sociale.
Je vous bénis et vous adresse mes très sincère amitiés.
Madame Michèle B. Lemaire

jeudi 16 octobre 2014

[Fiction 34] : Ma femme, le mitron et le coquillage.

Quand ma femme est partie, j’ai pensé que c’était une blague. Le soir, en rentrant, la maison était vide et, le matin venu, je me suis décidé à appeler la gendarmerie après avoir ameuté la terre entière, les quatre ou cinq amis qu’on fréquentait, la directrice de l’école où elle travaillait et sa mère. Sa mère, si chère.
Quand j’ai appris qu’elle était partie avec le mitron, là, j’ai pensé vivre une histoire drôle pas drôle. « Arrête, j’ai dit à Peter qui m’avait annoncé la bonne nouvelle, tu rigoles ou quoi ? Il n’y a plus de mitrons depuis belle lurette. Ils ont tous été remplacés par des machines !
– Si. Il n’en restait qu’un dans la ville, et c’est celui là.
– J’espère au mois qu’il est jeune et bien fait.
– Non, acnéeux et maigrichon. »
C’était le coup de grâce : si elle était partie avec lui, c’est qu’elle devait simuler. Et depuis longtemps.
Quand j’ai vu trois gros bras, au pied de mon immeuble, venus récupérer ses affaires, j’ai commencé à m’inquiéter pour mon avenir. Je leur ai tout laissé : la télé, l’ipad, le tableau de la grand-mère et même le coquillage géant avec écrit « Souvenir de Royan » dessus. Celui-là, j’étais content que ces nazes l’embarquent.
Quand elle est revenue sans son mitron, l’air contrit et la queue basse, je me suis dit que c’était inespéré. « Tu te rends compte de ce que tu m’as fait vivre ? Même un bloggeur n’en voudrait pas, tellement ton histoire est banale, je lui ai dit. Alors : dégage ! Toi, le mitron et ton coquillage. »