mardi 26 janvier 2016

[Semaine 2] Le diner de couple.



ELLE
Quel imbécile ce type, et puant, un casse-pieds.

LUI
Qui ça ?

ELLE
Ben lui, là, ce type, là.

LUI
Ah oui ? Lequel ? Il y avait trois autres mâles autour de la table en dehors de celui qui te fait office de mari.

ELLE
C'est pourtant pas compliqué. Je te parle du gars qui était en face de moi. Il m’a draguée toute la soirée.

LUI
Ah bon ? Toi ?

ELLE
Oui, moi. Hé ! Qu'est-ce que tu entends par « ah bon, toi » ? Tu me trouves trop moche pour être draguée ? Ou trop vieille ?

LUI
Holà ! Calme-toi. J'ai pas dit ça. Je dis simplement que je n'ai rien remarqué.

ELLE
Sûr. Tu n'avais d’yeux que pour la poupée blonde qu’on t’avait accolée.

LUI
Mais qu'est-ce que tu dis ? Je te signale que la poupée blonde, comme tu dis, est polytechnicienne, agrégée de lettres anciennes et qu'elle dirige le Centre stratégique international de chez plus trop quoi et que…

ELLE
C'est bien ce que je dis : une blonde. Il n'y a qu'une blonde pour te taper dans l'œil comme ça.

LUI
Hé, ho ! Qu'est-ce que tu me chantes là. Elle m'a certainement pas de plus tapé dans l'œil que ton bellâtre donc tu me rebats les oreilles parce qu'il t'a draguée.

ELLE
Mais puisque je te dis que je l'ai trouvé puant.

LUI
C'est bien ce que je suis en train de t'expliquer. Il t'a tapé dans l'œil : autrement dit, il te plaît.

ELLE
Tu rigoles ou quoi ?

LUI
Enfin, si tu aimes le genre efféminé avec une barbe de trois jours et des dents blanchies tu dois avoir trouvé ton idéal.

ELLE
Tu parles de toi ?

LUI
Euh…  Je ne me suis jamais vu dans le genre efféminé.

ELLE
Et qu'est-ce que tu en sais de mes goûts ? Et si tu n'étais pas mon idéal ?

LUI
Première nouvelle.

ELLE
Oui, moi, j'ai toujours aimé les bruns virils, rasés de près, en pyjama. Pas les petits blonds efféminés qui ne se rasent pas pour se donner un genre et qui portent des jeans serrés pour montrer qu'ils ont la taille bien prise.

LUI
Eh bien moi j'ai toujours aimé les polytechniciennes blonde et pulpeuse.

ELLE
Tu parles de moi, là ?

LUI
Oui, de toi ma poupée.

ELLE
Alors pourquoi tu as été aussi puant tout au long du dîner ? Et me draguer comme ça ? Pas besoin : je suis ta femme non ?

LUI
J'avais dû oublier ce détail.

ELLE
Quelle idée ils ont eue de nous mettre l'un en face de l'autre.

LUI
Tu as raison, aucun intérêt. Ça ne fait qu’exacerber.

ELLE
N'empêche que tu as été puant toute la soirée.


lundi 25 janvier 2016

[Semaine 1] Astérie.


(1000 signes)
J’ai vu une étoile entre les rochers un jour que la mer était descendue, loin, très loin, et qu’il restait des petites lacs de mer entre les rochers, c’est là que j’ai vu une étoile, au fond du petit lac avec deux coquillages à côté.
Papa a pris l’étoile dans sa main, l’a posée dans ma main, elle était visqueuse et froide alors je lui ai demandé si c’était les mêmes étoiles dans le ciel, comment font-elles pour descendre du ciel jusque dans le petit lac, au creux des rochers, est-ce qu’elles ont une échelle, mais oui bien sûr et c’est pourquoi on ne les voit pas toujours la nuit, parfois elles ne sont pas là, la nuit, parfois il y a la lune, parfois rien quand elles sont descendues. C’est comme la mer, a dit papa, parfois elle est là, parfois elle n’est plus là, parfois il y a des étoiles, parfois elles ne sont plus là, elles sont reparties rejoindre le ciel sur leur échelle parce qu’il était l’heure de rentrer à la maison, comme nous maintenant, on va rentrer à la maison car on a faim.


dimanche 10 janvier 2016

[Semaine 35] : Pourquoi certaines séries TV n’ont que 35 épisodes par saison et les raisons qui expliquent que la présente publication soit la dernière de la saison Deux de « Blog, et autres nouvelles ».


Quand on n’a plus d’argent, il faut faire preuve d’imagination. Les députés avaient voté trois cent soixante cinq nouvelles taxes dans l’année, une par jour. Des taxes sur tout et rien, les crèmes à bronzer, l’élevage des poulets, le travail illégal, partout où il y avait de l’agent, il était bienvenu de le prendre pour boucher le trou sidéral du budget de l’Etat de Syldavie.
Sauf que cela n’avait pas suffi. Cinq jours avant le bouclage du budget, le soir de Noël, alors que tous les syldaves s’apprêtaient à réveillonner en famille, il fallait bien se rendre à l’évidence : les finances n’étaient pas équilibrées et les trois cent soixante cinq nouvelles taxes ne suffiraient pas à combler le déficit.
Vint le matin de Noël où l’un des cranes d’œuf du ministère, bien inspiré par les marrons glacés dont il s’était gavé la veille, eut la géniale intuition que, l’Etat ayant un déficit abyssal de 32%, il suffirait de faire payer les contribuables en proportion et qu’une solution astucieuse serait de réduire l’année fiscale à trente cinq semaines, au lieu de cinquante deux. Ainsi, toutes les trente cinq semaines, les syldaves auraient la douloureuse surprise de recevoir leur feuille d’impôts, calculée sur la base de leurs revenus de l’année civile.
Soit que les esprits aient été engourdis par le trop plein de nourriture engloutie, soit que la situation ait été désespérée au point d’empêcher toute forme de protestation, l’amendement fut, en l’espace de quelques heures, rédigé par les fonctionnaires du ministère, examiné par la commission des finances, rapporté en séance et voté à une courte majorité, à deux heure trente du matin, devant une Assemblée à 98% vide.
Et le lendemain, alors que commençait l’étrange interrègne qui sépare Noël du jour de l’An que d’aucuns placent sous l’autorité des Confiseurs, les syldaves eurent la surprise de découvrir, en lisant leur quotidien, qu’il y aurait désormais deux façons de compter : celle qui, s’appuyant sur des constats astronomiques, voulait que la révolution de la Terre soit de cinquante deux semaines et un jour, deux pour les années bissextiles, et celle de la fiscalité syldave, qui réduisait le temps à trente cinq semaines, soit deux cent quarante cinq jours au lieu des trois cent soixante cinq attendus.
D’abord, on cru à une blague, puis on commença à s’interroger sur les conséquences de cette révolution dans le découpage des années. Fallait-il donner son âge fiscal ou astronomique lors de la déclaration d’impôts ? Les horaires des trains devaient-ils être renouvelés toutes les trente cinq semaines, vu que la SNCS était détenue par l’Etat ? On consulta, par soucis d’œcuménisme, les autorités protestantes, orthodoxes et même le Pape, qui se défaussa avec prudence, renvoyant ses ouailles à leurs élus politiques. Après tout, disait-il, le calendrier liturgique suivait ses propres règles qui fixent le début de l’année au premier jour de l’aven, alors qui était-il pour donner son avis à ce sujet ?
Bon, le vrai problème était qu’il faudrait payer plus souvent ses impôts. Le gouvernement en devint tellement impopulaire qu’il perdit la majorité aux élections qui suivirent. Mais les promesses sont une chose, les contingences économiques une autre et, malgré ce changement, l’année fiscale syldave resta fixée à trente cinq semaines, quel que soit le bord politique et il fallut attendre dix ans pour qu’elle soit recalée sur l’année civile. Les citoyens du microscopique Etat balkanique gardèrent longtemps l’habitude de jongler entre les deux calendriers, au gré des besoins, bien au-delà de l’abolition de trente cinq semaines. Les plus paresseux, fonctionnaires, dog-sitters, employés de la Sécu ou scénaristes de séries TV, continuent, depuis, à se limiter à trente cinq semaines, tradition que le présent blog, pour sa deuxième saison et pour les mêmes raisons, a décidé d’appliquer.



- - -   F  I  N   - - -

de la saison Deux

de

Blog, et autres nouvelles


samedi 2 janvier 2016

[Semaine 34] : Les incertitudes de Louis.

Tu as vu, ce champagne, ce caviar, et la vodka, et les jolies filles qui m’invitent à danser, et tout, c’est dingue, fabuleux, grandiose, vraiment très gentil. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien me trouver à moi, pauvre écrivaillon de banlieue, pour me faire traverser ainsi les continents dans leur Tupolev ? Ah oui, pour cela, ils sont très forts, les amis d’outre-fleuve. Ils doivent se tromper : s’ils m’avaient vu pas plus tard qu’il y a un mois, dans cette librairie de Moselle, à essayer de vendre mes bouquins moyennant signature d’une dédicace. De la promotion qu’il dit, mon éditeur, de la promotion. Moi, j’appelle ça de la prostitution, ces pauvres gens qui n’ont jamais rien lu de leur pauvre existence et qui pensent que je suis là pour… pour quoi, d’ailleurs ? On se demande. Tandis que maintenant, c’est autre chose. Oui, le secrétaire général du Parti en personne s’est fendu de son compliment, et un petit mot aimable à chacun d’entre nous, même à cet imbécile de xxx : « la lumière de l’occident », too much. Moi, c’était « la fougueuse jeunesse, incarnée dans le verbe », pas mal, non ? Ça valait bien la visite de l’usine pilote et du Sovkhoze, avec toutes ces jolies paysannes en robes rouges, elles n’ont pas l’air trop farouches, tellement souriantes. Et ce dîner de gala ! Moi qui n’avait pas de smoking à me mettre sur le dos, eh bien, ils m’en ont fourni un ; délicate attention, si maman me voyait fagoté comme un pingouin, elle serait fière de son dernier. Et voici que la jeune hôtesse frappe à ma porte pour venir me dire bonsoir dans ma chambre. Quand je pense aux vomissements de la presse de droite lorsqu’ils ont appris que nous y allions, vraiment, je suis déçu que ces suppôts de la bourgeoisie, ces plumitifs frustrés, ces valets du capital ne soient pas là pour constater combien ces gens sont différents, attentifs et sympathiques : des gentlemen, des amoureux de l’Art pour l’Art, oui, vraiment.