— Mais qu’est-ce que tu as fait au tableau ?
— Ben… rien. Je l’ai accroché au-dessus du canapé,
pourquoi ?
— Mais si, mais si, tu as fait quelque-chose. Mmm… voyons,
tu l’as réencadré ?
— Non
— Redécoupé ?
— Mais non ! Je t’assure ! Qu’est-ce que tu
racontes ?
— Ah ! Ça y est, je sais : tu l’as changé de sens.
Mais c’est dingue ça, pourquoi l’as-tu tourné ?
— Il ne rentrait pas en hauteur, au dessus du canapé. C’est
plus harmonieux comme cela, à l’horizontale.
— Ah, non ! Mais ça ne va pas du tout ! Il est
dans le mauvais sens !
— Ça, c’est toi qui le dit.
— Mais regarde : ça fait bizarre, je t’assure !
— Mais non. Tiens, tu dis cela parce que tu l’as vu avant à
la verticale. Mais, dans l’absolu, c’est beaucoup plus joli ainsi, à
l’horizontale au dessus du canapé.
— Et le peintre, hein ? Qu’est-ce que tu en fais ?
Il a conçu son œuvre verticale, pas horizontale. Le canapé, lui, c’était pas
son problème.
— Le peintre ? Il est mort depuis longtemps. Alors, je
fais comme ça m’arrange. Et puis, c’est un tableau abstrait : il n’y a pas
de sens, dans tous les sens du terme d’ailleurs.
— Oh ! ça me choque.
— Ça ne choque que toi et deux ou trois autres qui avaient
vu le tableau avant. Pour le commun, c’est très joli comme ça, au dessus du
canapé.
— Deux ou trois personnes plus moi, ça fait beaucoup de monde,
vu que ce sont ceux que tu vois tous les jours. Imagine un peu que je passe
comme cela de la verticale à l’horizontale, sans te demander ton avis ?
— Toi, sur le canapé, à l’horizontale ? Sans rien
demander ?
— Oui, sans rien demander.
— C’est plutôt une bonne idée. Essaie un peu pour
voir ? On pourrait se lancer dans le body art… Qu’est-ce que tu en dis ?