lundi 30 mars 2015

[Semaine 13] : Opus Dei (suite).


Il y a des milliards de gens qui prennent la réalité pour l’émanation de Dieu.
Moi, ça ne m’effleure pas. D’ailleurs, la messe, ça m’emmerde. Celle-là, j’y suis venu parce que le prieur m’a invité à le faire. Si vous n’êtes pas croyant, au moins par tradition, et si vous ne suivez pas la tradition, au moins par respect.
Je ne crois en rien, je me fous de la tradition et mon respect s’émousse au contact des petitesses des frères de la chartreuse que je côtoie. Le prieur a beau être un type bien, il porte un chaîne d’argent un peu plus large et un peu mieux astiquée que les autres : vanité. Comme sont vanités tous ces angelots dorés qui décorent le cœur. Je me surprends à compter le nombre d’heures de travail qu’il a fallu payer pour monter cet autel baroque, et les mètres-cube de pierre qui ont été acheminés dans la montagne.
Je me lève et je m’assieds, au rythme de la messe, mais, à nul moment, Dieu ne m’est apparu pour me révéler la foi attendue.
« Comment avez-vous trouvé cette messe ? m’a demandé le prieur le soir, au sortir du réfectoire. Très belle, vraiment très belle, j’ai répondu. »
Il n’a rien dit et, moi, je me suis senti tout d’un coup très con. Fatuité.
 


dimanche 22 mars 2015

[Semaine 12] : Opus Dei.




C’est William qui m’a parlé de la chartreuse perdue au fond des montagnes slovaques, tu verras, une vraie redécouverte, quinze jours avec soi-même et Dieu pour témoin. Tu devrais, toi aussi faire une retraite dans la chartreuse, ça te régénérera du stress que tu accumules à regarder les cours de Bourse toute la journée.
J’aurais dû me méfier de William, on devrait toujours de méfier des gens comme lui.
J’ai commencé à le maudire lorsque le GPS de ma voiture de location s’est affolé, passant d’un itinéraire à l’autre, m’indiquant des temps de parcours fantaisistes. De toute façon, je n’avais pas le choix que de suivre la petite route de montagne avec le précipice sur le côté. J’ai eu un coup d’émotion lorsque la chartreuse a surgi dans la vallée, après le passage d’un ènième col, mais comment on-t-il fait pour construire cet énorme machin, on ne peut même pas circuler en camion sur cette route.
Au bout de la route, je me suis trouvé face à une porte colossale, entourée de deux piliers de pierre et une madone au dessus qui me regardait sortir de ma petite voiture avec ma valise à roulette et ma méthode Assimil J’apprends le slovaque en dix leçons. Le frère qui m’a ouvert m’a conduit dans une grande salle toute nue où le prieur m’a reçu. Très affable, il m’a expliqué ce qui m’attendait dans les prochains quinze jours, le réveil avant le lever du soleil, les périodes d’isolement, le jeune du vendredi etc. A la fin, je lui ai demandé s’il fallait que je lui remette mon téléphone portable en dépôt, comme si j’avais un flingue en main. Il m’a dit que c’était inutile : on ne captait pas de signal, dans la chartreuse…
Je me suis senti tout d’un coup très seul ; jamais je n’aurais dû écouter William.

jeudi 12 mars 2015

[Semaine 11] : Comment se débarrasser de sa femme (deux).





« C’est nul cette émission, non ? Allez, on change. » Et paf, elle me pique la télécommande et clac, le talk-show. Cas de légitime défense, je lui arrache la zapette, repasse sur Téléfoot et balance l’engin par la fenêtre. S’ensuit un hurlement que je réprime sous l’oreiller et une lutte violente au cours de laquelle je parviens à la maîtriser. Je l’empaquète, la comprime et la tasse au fond de la tasse à tisane. Le temps de trouver un couvercle pour l’y contenir, voilatipa qu’elle ressurgit, dégoulinante de verveine refroidie. Ah, ah ! ça ne va se passer comme cela, je dis ! Elle me lance la TV sur la tête, je lui balance le chien, coup de vache, dans les guiboles. Elle me retourne le sommier, je l’accroche au lustre par les pieds. Elle met en bouillie la pendule de bonne maman à coups de marteau, je déchire ses robes au ciseau. Ah, tu croyais m’avoir, hein ? Eh bien tiens, œil pour œil, dent pour dent, pied pour pied, la loi du Talion enfin rétablie dans la République Autocratique du Troisième Etage de la Rue de la Roquette.

« Bon, t’as fini de ronfler ? J’éteins maintenant, me dit ma femme en appuyant sur la télécommande. »

dimanche 8 mars 2015

[Semaine 10] : Comment se débarrasser de sa femme (un).


Monsieur le juge, eh bien, moi, je vous dis que la femme qui est là, en face, n’est pas ma femme.
Comment c’est possible ? Je vais vous expliquer. Quand je me suis relevé de mon accident, du moins ce qu’on m’a dit avoir été un accident car je ne m’en souviens plus, j’étais amnésique. Amnésique au point de ne me souvenir de rien, ni reconnaître personne. C’est revenu petit à petit : mes études, mon métier, mes parents, les amis. Je me suis souvenu qui ils étaient, ce que c’était. Ça a mis du temps mais, bon, on y est arrivé. Le seul sujet qui est resté, c’est cette femme. Elle prétend que nous sommes mariés depuis dix-huit ans mais, moi, je n’en crois rien. Dix-huit ans, ça aurait dû laisser des traces, non ? Eh bien rien, que pouic.
Encore, si elle avait été jolie, élégante, spirituelle, célèbre, je ne dis pas, on se serait arrangés. Mais, monsieur le juge, elle n’est ni belle, ni drôle, ni bien habillée, ni richement dotée, ni tout ce qui fait qu’une femme est femme est qu’un homme aime les femmes. Alors, monsieur le juge, et vous mesdames et messieurs les avocats, et tous ceux qui sont dans cette salle, je vous le dis de nouveau, j’affirme sur la foi de ma mémoire et en vertu du bon sens que nous partageons tous : cette femme n’est pas ma femme.