mercredi 6 avril 2016

[Semaine 8] Le bouquet.

C’est Raïssa qui m’a appris la nouvelle. Elle me rendait la monnaie, avec une pointe de reproche dans la voix. Comme si je venais d’atterrir de la Lune, comment pouvais-je ne pas être au courant ? Si triste, elle était si triste, on était tous orphelins maintenant. J’ai pensé à Serguei en prenant les fleurs. Là où il était, avait-il été informé ? Que je suis idiote, vingt ans après, de croire encore qu’il est en vie, quelque part à l’Est. Mais pourquoi pas ? Il l’était bien ce matin là, lorsqu’ils ont frappé à la porte pour l’emmener. J’ai aussi pensé à Grégory. Lui, je sais où il est. Dans la glaise, mort brûlé vif dans son char à Korsun, ils l’ont enterré sur place m’ont-ils écrit, si seulement c’était vrai, au moins saurais-je où poser ces fleurs. Pas de tombe, ni pour Serguei, ni pour mon Grichka. Et tous ces disparus, toutes ces souffrances, tous ces espoirs, ces fiertés, ces terreurs. Pourquoi ? Pour qui ? Maintenant que le Guide était mort, les larmes me coulaient des yeux, comme ça, sans que je n’y pense. J’ai erré toute la journée, dans les rues, croisant des hommes et des femmes qui pleuraient comme moi.
Je suis rentrée dans un café. Tous les clients étaient silencieux, ils écoutaient le discours de Malenkov, diffusé à la radio. L’allocution s’est terminée et ils ont passé de la musique classique.
Qu’allons-nous devenir maintenant que Staline est mort ? a dit une femme.
Oui, ai-je pensé, que va-t-il désormais nous arriver de pire que toutes les années passées ?
En sortant du café, j’ai jeté le bouquet dans le caniveau.
Pour Serguei, pour Grichka.

mardi 5 avril 2016

[Semaine 7] Les 50.000 lettres de Kate.

100 mots.
Kate est une épistolière compulsive. Du matin au soir, elle écrit. Sur tout, sur rien, à ses amis, à sa famille, à des inconnus, qu’importe, elle écrit. Quant elle est morte, ses enfants ont trouvé une malle pleine de lettres. Ça doit bien valoir quelque chose, a dit l'aîné. Un témoignage d’une époque, a ajouté la cadette. Bah, a conclu le troisième, versons cela au archives, ça intéressera bien un historien, qui sait ?

Deux cent cinquante trois ans plus tard, on a ouvert la malle. Elle ne contenait aucune lettre de Kate : que les réponses de ses correspondants.

lundi 4 avril 2016

[Semaine 6] Le roi qui voulait interdire les machines à laver.

Il était une foi un roi en son royaume qui était si riche et si sage que tous ses voisins avaient décidé de faire la paix avec lui, au plus grand profit de ses sujets. Mais, malgré l’insistance de sa mère et de la Cour, il ne s’était pas marié, laissant son trône sans postérité. « Il y a trop de femmes autour de moi, avait-il déclaré le lendemain de son intronisation. Il faut qu’elles retournent à leurs travaux ménagers : que les machines à laver et les lave-vaisselle soient bannis de mon royaume. » Et, en les renvoyant ainsi à leur foyer, il avait résolu la question du chômage de masse mais pas celle de son mariage.
On s’y était habitué : quoi de plus charmant que des lavandières réunies autour du lavoir, commentant les nouvelles du pays, faisant et défaisant les réputations des candidats aux élections ? Décidément, le royaume allait bon train, mais le roi n’avait point femme.
Un jour qu’il chassait à la campagne entouré de ses mignons, il arrêta son cheval au bord d’un ruisseau pour le faire boire. Une beauté solaire, jeune jouvencelle d’à peine seize ans, y lavait le linge à grands coups de battoir quand le roi descendit de sa monture. Saisi par sa beauté et tombé en amour en moins de temps qu’il ne me faut pour écrire cette phrase, le roi se retourna vers sa Cour et parla ainsi : « Mes ducs, princes et vous, mes valeureux chevaliers, séchez vos larmes, apaisez vos craintes. Demain je prendrai pour épouse la jeune lavandière que voici et, ainsi, donnerai-je héritier puissant et sage à mon royaume. Que soit écrit dans ma chronique que ce jour était celui où je suis tombé en amour. » Et de s’agenouiller devant la donzelle en lui offrant l’anneau orné d’une émeraude qu’il portait au majeur gauche.
Mais la belle était en réalité une méchante fée. S’emparant de l’anneau  magique qui protégeait le roi des mauvais sorts et qu’il avait hérité de sa mère, elle-même fée, elle tint ces propos : « Au nom de la République, que le tyran soit puni d’avoir rabaissé la moitié de l’humanité à l’état de machine et d’avoir empêché le progrès technique de répandre ses bienfaits. Abracadabra. » Et, d’un coup de baguette magique, qu’elle cachait dans son corsage, elle transforma, à la grande consternation de l’assemblée, le roi en machine à laver.

La morale de cette histoire est qu’il n’est de liberté que de progrès.

dimanche 3 avril 2016

[Semaine 5] Le voyage de Jimmy.

Jimmy a rampé dans la boue, couru dans la forêt et sauté par-dessus les obstacles. Il est retourné à l’école, a appris les langues étrangères et l’astronomie. Le soir, il écoute la musique sur son ipod.
Jimmy est devenu officier, il s’est engagé, a signé des papiers, son destin est désormais celui de l’humanité. On l’a jeté dans des centrifugeuses, enfermé dans une capsule isolée dans le désert, allongé sur un lit pendant des semaines entières avec d’autres comme lui destinés. Et Jimmy écoute son ipod en regardant le ciel brûlant par la fenêtre.
Un jour, on a annoncé à Jimmy qu’il était désigné, l’élu pour le Grand Voyage vers la Planète Rouge. On l’a installé dans une fusée et le feu l’a propulsé dans les airs, rejoindre le vide sidéral.
Jimmy est parti pour longtemps, il n’est pas sûr de revenir un jour. Mais Jimmy a oublié son ipod sur la table de nuit : il ne pourra pas écouter sa musique en regardant le ciel noir du hublot de son vaisseau spatial.

mercredi 2 mars 2016

[Semaine 4] La possibilité d'une ville (deux). Le Grand Fléau.


Le 12 janvier à 6h 42 du matin, Jeannine Loncamp, technicienne de surface, ouvrit avec son badge la porte du Laboratoire de Recherche Biologique d’Argentan (LBA), Orne, et pénétra dans la salle des essais avec un chariot de ménage et son aspirateur de marque Redfix.

À 6h 54 le fil de son aspirateur de marque Redfix se coinça dans le pied métallique d'une étagère sur laquelle étaient entreposés des flacons contenant des principes actifs, fruits d'expérimentations récemment menées par les équipes du laboratoire.

À 6h 55, un des flacons tomba sur le sol après que le fils de l'aspirateur Redfix eut fait subir une traction violente à l'étagère sur laquelle il reposait, chute qui fit qu’il se brisa au moment où il entrait en contact avec le carrelage.

À 16h 02, Jeannine Loncamp avait terminé de ramasser les débris du flacon tombé à terre, les avait jeté dans le sac-poubelle de 50 l attaché à l'arrière de son chariot et avait passé la serpillière au sol pour éponger le liquide répandu.

À 7h 32, la susdite avait remisé son chariot dans le local technique et déposé le sac-poubelle dans le container dédié aux déchets ménagers.

Le 13 janvier, à 8h 05, Jacques Lefébure, gardien au LBA, ignorant l'alerte qui avait été émises en interne suite à la disparition d'un flacon, sortit la poubelle sur la RD 46 et la rangea sur l'emplacement qui lui était réservé afin que les services de la mairie puissent en récupérer le contenu.

À 8h 48 le même jour, les sacs ainsi récoltés étaient versés à la déchetterie située en périphérie nord d’Argentan.

Le 16 avril, Laurent Brouard, agriculteur, remarquait que le blé qu'il avait semé à l'automne dans son champ situé à proximité de la déchetterie, n'avait pas levé.

Le 28 mai, il dut se rendre à l'évidence que son champ était devenu stérile et il constata qu'il en était de même des champs voisins.

Le 8 juin, les services de la préfecture émirent une note administrative prévenant de la présence d'une épidémie d'origine inconnue qui avait eut pour effet de détruire la flore et la faune sur un secteur de 8 km², localisé au nord et à l'ouest d'Argentan.

Le 12 juin, le ministère de l'agriculture ordonna une mise en quarantaine de la zone objet de la note.

Le 16 juin, l'épidémie avait atteint le département de l'Orne dans son ensemble et commençait à toucher l’Eure et l'Eure-et-Loir, avant de s'étendre à la Beauce.

Le 18 juin, avançant à l'allure d'un cheval au galop, le mal avait pratiquement touché tout l'ouest de la France et, fin juillet, l'ensemble de l’Europe.

Le 24 juillet, les premiers signes étaient enregistrés à proximité de l'aéroport international de Miami et de l'aéroport international Chhatrapati-Shivaji de Mumbai, si bien que, à la fin de l'année, l'ensemble des terres agricoles de la planète était ramené à l'état de désert stérile et inhospitalier, forçant des millions d'agriculteurs à rejoindre les villes, demeurées intactes dans leur minéralité.

Le 15 janvier de l'année suivante, l’Assemblée Nationale, une fois passé l'état de sidération dans laquelle l’avait plongé la perte de ses campagnes, décida qu'il fallait s'organiser pour ravitailler les populations hébergées dans les ville, car si les sols de la planète étaient devenus à jamais incultes, il s'avérait qu'il était toujours possible de cultiver sur des supports artificiels.

Le 22 janvier, en vertu d'une série d'ordonnances prises en Conseil des ministres, chaque citadin fut mis à contribution, tomates, choux et salades sur les balcons, endives dans les salles de bains et, pour le blé, une mise en culture sur les chaussées, les voitures ayant été rendues inutiles de par la disparition des campagnes, mesures auxquelles s’ajoutait la réquisition des entrepôts qui jusqu'alors stockaient les produits de la société de consommation, pour être reconvertis en serres, si bien que, deux ans après le Grand Fléau, l’humanité, devenu citadine par la force des choses, pourrait enfin manger à sa faim.

Le 1er mai de la troisième année, les tickets de rationnement furent supprimés grâce au développement de l’AC, Agriculture Citadine.

Le 31 décembre de la cinquième année eut lieu le départ officiel du premier rallye Paris-Berlin, course inspirée des raids en 4x4 menés par la jeunesse des villes à la recherche d'émotions fortes dans les déserts, et qui, conçue d'abord comme une blague de potache qui s'étaient envoyé le défi de traverser l'Europe d'une traite dans des paysages lunaires, fut vite médiatisée et érigée au rang d’événement où motos, automobiles de courses et caravanes s’affrontaient sous l’œil des caméras.

Le 16 mai de la septième année fut inauguré le Nouveau Versailles, né de la volonté de nostalgiques d’Avant le Grand Fléau qui se piquaient de reconstituer les jardins détruits en bétonnant les sols et en y réinstallant fleurs, buissons, charmilles et allées d’arbres et qui, de parcs bucoliques en reconstitutions des paysages perdus, feraient qu’en quelques années les campagnes renaîtraient de leurs cendres pour devenir un immense parc d'attraction à l’usage exclusif des citadins.

Des campagnes sans campagnards.



Photo DR

mercredi 17 février 2016

[Semaine 3] La possibilité d'une ville.


C'était une belle ville, une grande capitale avec tout ce qu'il faut, des avenues bordées d'arbres et des pistes cyclables, des galeries d'art et des terrasses de restaurants, des monuments de pierre reliés par des tramways et, au-delà, des campagnes pleines de paysans pour nourrir les habitants de la ville. Il y avait même un roi dont la prodigieuse famille circulait d'un quartier à l'autre poursuivie par une armée de paparazzis motorisés. Et puis, un jour, quelqu'un ou quelques uns, ou une machine détraquée, on ne saura jamais qui, ni comment, ni pourquoi, décida que la ville était une cible et qu'il fallait l'éliminer. Et, le temps des dix minutes que dura la Troisième Guerre mondiale, il n'en resta plus rien, qu’un tas fumant de ruines atomisées.
Les campagnards qui avaient survécu, une fois passée la sidération dans laquelle la perte de leur grande ville les avait plongés, eurent vite fait de se réorganiser – après tout il faut bien vivre, non ? Rien n’était évident dans un monde privé d'Internet et de banquiers, et où l'essence était passée à l'état de curiosité. Les maires des villages durent gérer la pénurie, ressortant les chevaux et mobilisant les jeunes gens désœuvrés pour labourer les champs – il faut bien se nourrir, non ? La ruralité se voyait ramenée cent ans en arrière, mais avec l'avantage d'une population beaucoup moins nombreuses à entretenir. On n’allait pas s'en plaindre après tout : le blé, les œufs, les veaux, toute cette abondance qu'on pouvait désormais garder pour soi ; l’autarcie a du bon en temps de guerre.
Ce Nouveau Monde, où la nécessité faisait loi, aurait ainsi pu survivre longtemps à l'absence de la ville. C'était oublier que le superflu fait foi. Les édiles avaient bien compris qu'il fallait offrir des loisirs à la jeunesse, frustrée de séries TV et de chat sur les réseaux sociaux. Mens sana in corpore sano : pour renforcer la race, veillées, loto et cochon grillé furent proposés en substitution puis, vu le peu d'enthousiasme des intéressés, rendus obligatoires. Les maires, regroupés en communautés de communes, recrutèrent des gros bras pour sillonner les chemins et remplir les salles des fêtes désertées, par la force s'il le fallait. Jeunes et vigiles en vinrent aux mains et les premiers se regroupèrent en bandes, prenant le maquis pour échapper à la Dictature des Loisirs bucoliques. Les rebelles virent leurs rangs grossir tant était grande l’horreur que suscitait l'organisation de dance parties au son de l'accordéon. Les bandes devinrent une vraie petite armée qui sortait régulièrement de sa forêt pour se ravitailler, terrorisant les populations paysannes et pillant le cheptel.
Les conseillers municipaux, réunis en concile, décidèrent de réagir et de regrouper leurs administrés dans des places fortes desquelles il était plus facile de surveiller les campagnes en proie à la guerre civile. Les rebelles se retranchèrent de même au fond de leur forêt, derrière des palissades de rondin qui devinrent rapidement des murs de terre cachant masures, rues, cafés et dancings. Et, comme il fallait ajouter du prestige à tout cela, chacun des deux camps élut un roi, un bel et bon souverain pour aller se battre contre l'ennemi à coup de massue et de flèches et qui, une fois rentré dans sa cahute auréolé de gloire, se devrait d’honorer sa belle pour lui faire de beaux enfants dont plus tard, bien plus tard, les turpitudes iraient nourrir les journaux people à gros tirage des villes ainsi rebâties.

mardi 26 janvier 2016

[Semaine 2] Le diner de couple.



ELLE
Quel imbécile ce type, et puant, un casse-pieds.

LUI
Qui ça ?

ELLE
Ben lui, là, ce type, là.

LUI
Ah oui ? Lequel ? Il y avait trois autres mâles autour de la table en dehors de celui qui te fait office de mari.

ELLE
C'est pourtant pas compliqué. Je te parle du gars qui était en face de moi. Il m’a draguée toute la soirée.

LUI
Ah bon ? Toi ?

ELLE
Oui, moi. Hé ! Qu'est-ce que tu entends par « ah bon, toi » ? Tu me trouves trop moche pour être draguée ? Ou trop vieille ?

LUI
Holà ! Calme-toi. J'ai pas dit ça. Je dis simplement que je n'ai rien remarqué.

ELLE
Sûr. Tu n'avais d’yeux que pour la poupée blonde qu’on t’avait accolée.

LUI
Mais qu'est-ce que tu dis ? Je te signale que la poupée blonde, comme tu dis, est polytechnicienne, agrégée de lettres anciennes et qu'elle dirige le Centre stratégique international de chez plus trop quoi et que…

ELLE
C'est bien ce que je dis : une blonde. Il n'y a qu'une blonde pour te taper dans l'œil comme ça.

LUI
Hé, ho ! Qu'est-ce que tu me chantes là. Elle m'a certainement pas de plus tapé dans l'œil que ton bellâtre donc tu me rebats les oreilles parce qu'il t'a draguée.

ELLE
Mais puisque je te dis que je l'ai trouvé puant.

LUI
C'est bien ce que je suis en train de t'expliquer. Il t'a tapé dans l'œil : autrement dit, il te plaît.

ELLE
Tu rigoles ou quoi ?

LUI
Enfin, si tu aimes le genre efféminé avec une barbe de trois jours et des dents blanchies tu dois avoir trouvé ton idéal.

ELLE
Tu parles de toi ?

LUI
Euh…  Je ne me suis jamais vu dans le genre efféminé.

ELLE
Et qu'est-ce que tu en sais de mes goûts ? Et si tu n'étais pas mon idéal ?

LUI
Première nouvelle.

ELLE
Oui, moi, j'ai toujours aimé les bruns virils, rasés de près, en pyjama. Pas les petits blonds efféminés qui ne se rasent pas pour se donner un genre et qui portent des jeans serrés pour montrer qu'ils ont la taille bien prise.

LUI
Eh bien moi j'ai toujours aimé les polytechniciennes blonde et pulpeuse.

ELLE
Tu parles de moi, là ?

LUI
Oui, de toi ma poupée.

ELLE
Alors pourquoi tu as été aussi puant tout au long du dîner ? Et me draguer comme ça ? Pas besoin : je suis ta femme non ?

LUI
J'avais dû oublier ce détail.

ELLE
Quelle idée ils ont eue de nous mettre l'un en face de l'autre.

LUI
Tu as raison, aucun intérêt. Ça ne fait qu’exacerber.

ELLE
N'empêche que tu as été puant toute la soirée.


lundi 25 janvier 2016

[Semaine 1] Astérie.


(1000 signes)
J’ai vu une étoile entre les rochers un jour que la mer était descendue, loin, très loin, et qu’il restait des petites lacs de mer entre les rochers, c’est là que j’ai vu une étoile, au fond du petit lac avec deux coquillages à côté.
Papa a pris l’étoile dans sa main, l’a posée dans ma main, elle était visqueuse et froide alors je lui ai demandé si c’était les mêmes étoiles dans le ciel, comment font-elles pour descendre du ciel jusque dans le petit lac, au creux des rochers, est-ce qu’elles ont une échelle, mais oui bien sûr et c’est pourquoi on ne les voit pas toujours la nuit, parfois elles ne sont pas là, la nuit, parfois il y a la lune, parfois rien quand elles sont descendues. C’est comme la mer, a dit papa, parfois elle est là, parfois elle n’est plus là, parfois il y a des étoiles, parfois elles ne sont plus là, elles sont reparties rejoindre le ciel sur leur échelle parce qu’il était l’heure de rentrer à la maison, comme nous maintenant, on va rentrer à la maison car on a faim.


dimanche 10 janvier 2016

[Semaine 35] : Pourquoi certaines séries TV n’ont que 35 épisodes par saison et les raisons qui expliquent que la présente publication soit la dernière de la saison Deux de « Blog, et autres nouvelles ».


Quand on n’a plus d’argent, il faut faire preuve d’imagination. Les députés avaient voté trois cent soixante cinq nouvelles taxes dans l’année, une par jour. Des taxes sur tout et rien, les crèmes à bronzer, l’élevage des poulets, le travail illégal, partout où il y avait de l’agent, il était bienvenu de le prendre pour boucher le trou sidéral du budget de l’Etat de Syldavie.
Sauf que cela n’avait pas suffi. Cinq jours avant le bouclage du budget, le soir de Noël, alors que tous les syldaves s’apprêtaient à réveillonner en famille, il fallait bien se rendre à l’évidence : les finances n’étaient pas équilibrées et les trois cent soixante cinq nouvelles taxes ne suffiraient pas à combler le déficit.
Vint le matin de Noël où l’un des cranes d’œuf du ministère, bien inspiré par les marrons glacés dont il s’était gavé la veille, eut la géniale intuition que, l’Etat ayant un déficit abyssal de 32%, il suffirait de faire payer les contribuables en proportion et qu’une solution astucieuse serait de réduire l’année fiscale à trente cinq semaines, au lieu de cinquante deux. Ainsi, toutes les trente cinq semaines, les syldaves auraient la douloureuse surprise de recevoir leur feuille d’impôts, calculée sur la base de leurs revenus de l’année civile.
Soit que les esprits aient été engourdis par le trop plein de nourriture engloutie, soit que la situation ait été désespérée au point d’empêcher toute forme de protestation, l’amendement fut, en l’espace de quelques heures, rédigé par les fonctionnaires du ministère, examiné par la commission des finances, rapporté en séance et voté à une courte majorité, à deux heure trente du matin, devant une Assemblée à 98% vide.
Et le lendemain, alors que commençait l’étrange interrègne qui sépare Noël du jour de l’An que d’aucuns placent sous l’autorité des Confiseurs, les syldaves eurent la surprise de découvrir, en lisant leur quotidien, qu’il y aurait désormais deux façons de compter : celle qui, s’appuyant sur des constats astronomiques, voulait que la révolution de la Terre soit de cinquante deux semaines et un jour, deux pour les années bissextiles, et celle de la fiscalité syldave, qui réduisait le temps à trente cinq semaines, soit deux cent quarante cinq jours au lieu des trois cent soixante cinq attendus.
D’abord, on cru à une blague, puis on commença à s’interroger sur les conséquences de cette révolution dans le découpage des années. Fallait-il donner son âge fiscal ou astronomique lors de la déclaration d’impôts ? Les horaires des trains devaient-ils être renouvelés toutes les trente cinq semaines, vu que la SNCS était détenue par l’Etat ? On consulta, par soucis d’œcuménisme, les autorités protestantes, orthodoxes et même le Pape, qui se défaussa avec prudence, renvoyant ses ouailles à leurs élus politiques. Après tout, disait-il, le calendrier liturgique suivait ses propres règles qui fixent le début de l’année au premier jour de l’aven, alors qui était-il pour donner son avis à ce sujet ?
Bon, le vrai problème était qu’il faudrait payer plus souvent ses impôts. Le gouvernement en devint tellement impopulaire qu’il perdit la majorité aux élections qui suivirent. Mais les promesses sont une chose, les contingences économiques une autre et, malgré ce changement, l’année fiscale syldave resta fixée à trente cinq semaines, quel que soit le bord politique et il fallut attendre dix ans pour qu’elle soit recalée sur l’année civile. Les citoyens du microscopique Etat balkanique gardèrent longtemps l’habitude de jongler entre les deux calendriers, au gré des besoins, bien au-delà de l’abolition de trente cinq semaines. Les plus paresseux, fonctionnaires, dog-sitters, employés de la Sécu ou scénaristes de séries TV, continuent, depuis, à se limiter à trente cinq semaines, tradition que le présent blog, pour sa deuxième saison et pour les mêmes raisons, a décidé d’appliquer.



- - -   F  I  N   - - -

de la saison Deux

de

Blog, et autres nouvelles


samedi 2 janvier 2016

[Semaine 34] : Les incertitudes de Louis.

Tu as vu, ce champagne, ce caviar, et la vodka, et les jolies filles qui m’invitent à danser, et tout, c’est dingue, fabuleux, grandiose, vraiment très gentil. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien me trouver à moi, pauvre écrivaillon de banlieue, pour me faire traverser ainsi les continents dans leur Tupolev ? Ah oui, pour cela, ils sont très forts, les amis d’outre-fleuve. Ils doivent se tromper : s’ils m’avaient vu pas plus tard qu’il y a un mois, dans cette librairie de Moselle, à essayer de vendre mes bouquins moyennant signature d’une dédicace. De la promotion qu’il dit, mon éditeur, de la promotion. Moi, j’appelle ça de la prostitution, ces pauvres gens qui n’ont jamais rien lu de leur pauvre existence et qui pensent que je suis là pour… pour quoi, d’ailleurs ? On se demande. Tandis que maintenant, c’est autre chose. Oui, le secrétaire général du Parti en personne s’est fendu de son compliment, et un petit mot aimable à chacun d’entre nous, même à cet imbécile de xxx : « la lumière de l’occident », too much. Moi, c’était « la fougueuse jeunesse, incarnée dans le verbe », pas mal, non ? Ça valait bien la visite de l’usine pilote et du Sovkhoze, avec toutes ces jolies paysannes en robes rouges, elles n’ont pas l’air trop farouches, tellement souriantes. Et ce dîner de gala ! Moi qui n’avait pas de smoking à me mettre sur le dos, eh bien, ils m’en ont fourni un ; délicate attention, si maman me voyait fagoté comme un pingouin, elle serait fière de son dernier. Et voici que la jeune hôtesse frappe à ma porte pour venir me dire bonsoir dans ma chambre. Quand je pense aux vomissements de la presse de droite lorsqu’ils ont appris que nous y allions, vraiment, je suis déçu que ces suppôts de la bourgeoisie, ces plumitifs frustrés, ces valets du capital ne soient pas là pour constater combien ces gens sont différents, attentifs et sympathiques : des gentlemen, des amoureux de l’Art pour l’Art, oui, vraiment.