C’est George qui a fini par dire ce que tout le monde, dans
la pièce où était installé le QG de campagne, pensait tout bas :
« Vous voudrez ce que vous voudrez, mais moi, ça fait vingt-cinq ans que
j’attends ce moment, alors, malaise ou pas, on y va ! » Du coup,
c’est lui qui y est allé, devant la foule des supporters. Dans le théâtre loué
pour la soirée électorale, on les entendait scander le nom du futur
président : Hen-ri, Hen-ri, Ri-ton, Ri-ton, RI-TON.
Quand George est monté sur la tribune, il a regardé les
visages hurlants et la forêt d’objectifs pointée sur lui et il a pensé au gros
bobard qu’il allait leur faire avaler, le retard de l’avion du candidat, arrêté
par la neige qui n’était pas tombée ou un truc comme cela, tout ce que tu
veux : il faut gagner du temps jusqu’à ce que les résultats soient
proclamés par la Cour Suprême, avant qu’on ne découvre le pot aux roses.
Surtout, surtout : que personne ne sache qu’ Henry, le leader victorieux,
vient d’avoir une attaque et que, à cette heure, une armée de médecins du Mont
Sinaï Hospital s’acharne à le ranimer. « P…, les cons ! » s’est
dit George avant le lever les bras pour imposer le silence.
Il devra, plus tard, déduire que son discours de victoire,
ce soir-là, n’a pas dû être trop mal ficelé vu que, quelques jours plus tard,
alors qu’on attend toujours l’avion du président, la vérité a été révélée et
que personne n’a moufté. Même les vieux débris de la Cour Suprême n’ont rien
osé dire lorsque George, de par son statut de vice-président candidat, s’est
arrogé la charge convoitée à la place d’Henry.
Il a cependant vite fait d’oublier ce qui l’avait amené
là : la déferlante des emmerdements s’est imposée, dans son bureau et ceux
de ses ministre. « P…, les cons ! » a-t-il continué à maugréer
en pensant tour à tour à ses prédécesseurs qui lui avaient laissé une situation
pourrie, à ses conseillers, tout frais des meilleures écoles, d’une affligeant
naïveté, aux syndicats, aux membres du Congrès, aux profs, aux journalistes et
à tous ces imbéciles d’électeurs qui répondaient aux sondages en crachant dans
la soupe. Et, pour couronner le tout, voilà qu’un beau matin d’avril c’est le
chef du service de réanimation de l’hôpital qui l’a appelé : « Heu,
monsieur le président… enfin, c’est assez délicat, mais le président, enfin… je
veux dire… l’autre président, enfin voilà : il vient de sortir du coma.
Oui, je répète : il est sorti du coma, il est réveillé quoi, et il demande
à ce qu’on l’amène faire son discours. Enfin vous comprenez, hein ? Son
discours de victoire qu’il n’a pas eu le temps de faire le soir de l’élection,
vu qu’il a eu son attaque ce jour là… Enfin, bref, monsieur le président, le
président croit qu’il est le président, si vous voyez ce que je veux dire,
hein ?
– Et m… ! il ne manquait plus que ce con d’Henry. C’est
le pompon ça ! » a lancé George en raccrochant furieux.
De fait, le réveil d’Henry a été très vite le secret le
mieux gardé du pays, mieux même que la vieille maîtresse du prédécesseur de
George à la présidence. Pour calmer Henry qui s’agitait dans son hôpital, il a
fallu réquisitionner un théâtre qu’on a rempli de figurants. Le président virtuel,
qui avait perdu trente kilos pendant son coma, s’est péniblement hissé sur la
fausse tribune pour faire son discours, comme au premier soir. Après, on lui a
installé un bureau présidentiel dans une aile de l’hôpital et on a déployé un
simulacre de gouvernement. « Ah, si seulement il pouvait retomber dans le
coma, a pensé George, ça en arrangerait plus d’un. » Mais le vieux s’est
accroché et a même commencé à préparer un voyage triomphale en province :
« Pas question, lui a ordonné le médecin-chef, votre cœur ne tiendra
pas. » Bon, il s’est calmé, mais a continué son activité d’homme d’Etat
jusqu'au jour où, sûr de sa popularité (fictive, on lui avançait des sondages
dignes de l’ère soviétique, pour lui faire plaisir) il a décidé de fomenter un
coup d’état contre les institutions pour se faire nommer président à vie.
« Un emmerde de plus, » a pensé George, d’autant plus que les
élections approchaient et qu’il était pratiquement acquis que le parti au
pouvoir se prendrait une raclée. « Bof, après tout, je laisserai le bébé à
mon successeur, ça lui fera les pieds. »
C’est ce qui a été fait : le cas d’Henry a été confié
au nouveau président au moment de son intronisation, avec les dossiers
top-secrets et autres codes nucléaires. Bonne blague : Henry qui,
désormais, conduisait son peuple imaginaire en despote, s’est accroché à la
vie. Il a fallu attendre bien des années pour que la solution soit
trouvée : on a déguisé quelques infirmiers en révolutionnaires et ils ont
fait irruption dans la chambre d’hôpital d’Henry. A la suite d’un simulacre de
procès, on l’a envoyé en exil dans sa maison de campagne.
Il y vit depuis des jours heureux, sous bonne garde :
il serait en train d’y écrire ses mémoires, dit-on. Encore une tuile à gérer
pour le gouvernement.
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