« Bon, on va pas rester comme ça à s’embrasser devant
tous ces gens, hein ? »
Le voyage triomphal de maman commence mal. Je desserre mon
étreinte et prend sa valise à roulette déglinguée, direction EXIT. Moi qui
pensait lui faire faire la tournée des grands ducs – ou plutôt de la grande
duchesse – je vais vite déchanter. Depuis des années que je suis installé ici,
il n’est pas un moment où je ne pense : « ah, si maman était
là ! Ah, si elle voyait ma vie, elle serait fière et impressionnée et
bluffée etc. » Alors, maintenant que j’ai réussi à la convaincre de
quitter son trou et de traverser la moitié du globe pour venir me voir, il va
falloir jouer fin car elle risque d’avoir un choc quand elle va découvrir la
vue de mon penthouse du 17ème étage.
A peine y sommes nous arrivés, la voilà qui inspecte le
ménage en faisant la moue et se met à repriser trois chaussettes qu’elle a
réussi à repérer au fond de ma penderie. « Ecoute, maman, tu n’es pas
venue pour t’occuper de ça. Tiens, repose toi et, tout à l’heure, je te fais
faire le tour de la ville. Tu vas adorer. »
Le premier jour, on a visité les musée ; le deuxième,
on a remonté l’avenue pour faire les boutiques : « Dis moi ce
qui te ferait plaisir, je te l’offre. Assez, ce sac à main, avec des petites
lettres dessus, tu le veux ? »
En fait de cadeau, elle ne veut rien, sauf une petite statue
dans une boule pleine d’eau qui fait de la neige quand on la secoue.
Le troisième jour, avant qu’elle ne reparte chez l’oncle
Sergueï dans l’Ontario, j’ai prévu une apothéose : la visite de mon
bureau, au sud de l’île, et déjeuner chez Da Giorgio, la crème des italiens
chics du coin. A part une demande pour savoir ce que ces jeunes gens font
devant leur écran et s’ils restent ainsi toute la journée, elle ne moufte pas,
même devant les proportions impressionnantes de mon bureau et la vue de dingue
sur la baie et le port. Elle consent
quand même à se faire prendre en photo avec moi devant la table (je lui
enverrai plus tard un tirage encadré qui, ça je ne la sais pas encore, va
atterrir en bonne place sur la cheminée, entre sa photo de mariage et le
portrait de papa en grand uniforme de capitaine de l’armée de terre).
« Tu sais, elle me lâche à l’enregistrement avant de prendre
l’avion, il va falloir que tu songes à te marier. J’ai rencontré une famille du
village d’à côté ; des gens biens. Très jolie jeune fille, très sage. Je t’enverrai
la photo à mon retour. »
Je pousse un soupir de soulagement lorsque sa silhouette disparaît
sur la passerelle d’embarquement.
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