dimanche 15 février 2015

[Semaine 7] Jeff et la matrice.




Le père de Jeff était arrivé de sa campagne bien des années plus tôt et jamais il n’avait pu se débarrasser de la peur qui l’avait saisi devant la gigantesque ville dans laquelle il avait dû se plonger pour survivre. Et s’il avait trouvé femme, et s’il avait eu Jeff, c’était pur hasard, car il était demeuré un exilé dans sa tête, un alien abandonné sur une planète qui n’était pas la sienne. C’est d’ailleurs pourquoi il avait interdit à sa femme et à son fils de sortir du bel appartement qu’il louait près de l’avenue Victor Hugo : les volets clos cachaient la réclusion à perpétuité de Jeff, personne n’aurait pu l’imaginer, ni les voisins, ni la concierge, ni les passants.
C’est pourquoi Jeff ne connaissait du monde que ce que lui projetait la télévision. Il en suivait toutes les séries, le 20h était son professeur, les publicités ses récréations. Sa mère et lui se gavaient aussi des films en dvd loués par son père, tous les deux devant l’écran pleuraient, riaient tour à tour, du monde qu’il leur était donné de contempler ainsi, pauvres mortels au fond de leur caverne.
Un jour, le père de Jeff est venu avec un nouveau film, Matrix. Il pensait que le sujet portait sur les mathématiques et, comme il se disait qu’il était temps d’entamer l’éducation de son fils, il avait pris le dvd, au vu de sa jaquette.
Ce fut un choc pour Jeff. La vie de Thomas Anderson, alias Neo, incarné par  Keanu Reeves, programmeur informatique le jour et hacker la nuit, le fascina. La découverte de la réalité du monde était pour Jeff, le moment clé, dans lequel évidemment, il se projetait si bien qu’il se décida, un jour que son père, à son habitude, l’avait laissé enfermé dans sa chambre pour la journée pour aller travailler, de franchir le miroir. Il réussit à s’échapper par la fenêtre de la cuisine et s’enfonça dans la ville, la vraie, pour la première fois.
Son père le retrouva le soir, sur les champs Elysées : Jeff portait des lunettes noires, comme son cher héro Neo. Des lunettes qui lui permettaient, croyait-il, de décoder la matrice, le code de la ville qu’il découvrait pour la première fois.

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