On n’a
jamais pu s’entendre, Harry et moi. Caractères opposés : lui,
polytechnicien, moi HEC ; on n’était pas faits pour débarquer ensemble sur
ce rocher perdu du Pacifique. S’il y avait eu une femme avec nous, un autre
rescapé de la croisière s’amuse qui coule, peut-être notre incompréhension
mutuelle se serait transformée en jalousie destructrice, une de ces
compétitions féroces entre deux mâles en rut pour la possession de la femme
reproductrice du clan. Mais non, rien de cela, nous étions désespérément seuls
lui et moi. Lui à calculer la probabilité pour qu’un cargo passe un jour au
large, multipliée par la chance qu’il fasse un crochet jusqu’à nous, moi
fantasmant sur le potentiel touristique de la plage et le chiffre d’affaires
additionnel de la discothèque à construire dans la palmeraie adjacente.
Toujours est-il
que cet imbécile avait voulu me piéger en me laissant seul sur le caillou, un
soir qu’il avait repéré un navire qui passait. Il croyait que je n’avais pas
remarqué que le canot qu’il avait construit était monoplace. Très ingénieux,
pour un ingénieur ; sauf que moi, pas fou, j’avais planqué les rames. Pas de
rames, pas de cargo…
Maintenant que
ma chère île déserte n’est plus qu’un point à l’horizon, je me dis que, d’ici à
ce que je revienne avec des investisseurs et une bétonneuse, les crabes auront
eu le temps de se repaître des restes du polytechnicien. C’est dangereux, une
rame, je l’ai toujours dit.
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