jeudi 20 mars 2014

[Fiction 11] : Ecrivain public.

« Tu vois ? La boutique, là, je t’y vois bien.

– Quoi, quoi ? Tu rêves ? Tu as vu la taille ? Cinq mètres carrés, tout mouillé. Que veux-tu que j’y fasse ?

– Eh bien, tu la repeins, tu t’y installes, tu mets une enseigne « Ecrivain Public » et là, tu attends. Ça te laissera des loisirs pour écrire. »

Mon ami Harry a toujours été de bon conseil. Et pour attendre, ça, j’ai attendu : des jours, des semaines, au-delà des odeurs de peinture qui ont bien fini par disparaître. Au moins, personne n’est venu m’ennuyer et j’ai pu fumer mes cigares peinard, tranquille, dans mon trou de l’avenue de Neuilly, entre le marchand de pneus et le club de bridge.

C’est le quatrième mois bien entamé que le type est entré. En fait, ce n’était pas le premier à pousser la porte, il y avait déjà plein d’autres gens qui étaient venus me voir mais, celui-là, j’ai tout de suite senti qu’il n’avait rien à me vendre, qu’il voulait acheter : « Contrôle-toi, me suis-je dit, ai l’air cool, c’est ton premier client mais, lui, il ne le sait pas. Fait comme si c’était ton quarante-douzième.

– Voilà, me dit-il, je voudrais que vous écriviez pour moi, enfin, c’est moi qui publie, vous écrivez… vous voyez ?

– Vous voulez que je sois votre nègre. C’est ça ? je lui réponds.

– Oui, oui, c’est ça, un nègre, comme vous dites. Et je voudrais que ce que vous écriviez en mon nom soit un best-seller.

(Je me retiens de lui dire que, si je savais écrire des best-sellers, je ne serais pas dans cette boutique à fumer des cigares de second choix. Mais mon sens du commerce, pour une fois, a pris le dessus)

– Ca va vous coûter cher, m’entends-je lui dire.

– Je suis riche…

– Et ça prendra du temps.

– … et oisif.

– Et vous avez une idée de l’histoire ? L’intrigue ? Ce qui ferait un best-seller, enfin le truc génial grâce auquel vous allez gagner plein d’argent et postuler au Nobel ?

– Ah, ça, oui, je l’ai bien en tête. Ecoutez : c’est l’histoire d’un type qui, sur les conseils d’un bon copain, s’installe dans un bouiboui pour y devenir écrivain public…

– Oh là ! Ne vous moquez pas, il n’y a pas de sot métier…

– Il n’y a que des sottes gens, je connais la suite. Monsieur, je suis très sérieux.

– Et vous pensez que ça va faire un best-seller, votre histoire (qui est d’ailleurs la mienne) ?

– C’est bien votre rêve, non ?

– Touché, vous avez gagné un point.

– Donc, comme vous n’avez pas d’idée et moi non plus (pour preuve, cela fait quatre mois que vous n’avez pas écrit dix lignes et vous en êtes à votre trois-centième cigare). Donc, continue-t-il, comme l’inspiration n’est pas votre fort, moi, j’ai une idée : l’histoire de votre vie.

– Elle n’a aucun intérêt…

– Aucune importance.

– Ni intrigue…

– On va trouver.

– Ni emmerdements, ni sexe, ni exotisme, ni sang, enfin quoi, rien de ce qui fait le roman à succès. Même pas de quoi en tirer une autofiction ou un de ces trucs à bobo qui marchent, vous voyez ?

– Hum, je vois…

– Je ne dis pas cela pour vous faire de la peine...

– Hum, hum, c’est dommage.

– Ce n’est pas un refus de vente, mais je pense que votre idée est mal venue. A part en extraire une courte nouvelle pour un blog, je ne sens pas trop la chose…

– Non, vous avez certainement raison, conclut mon visiteur, l’air dépité.

Le lendemain, je décrochai mon écriteau « Ecrivain Public » et ouvrai un institut de beauté. C’est pas très ragoutant, mais beaucoup plus rentable…

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