jeudi 6 mars 2014

[Fiction 9] Place Vendôme.

Le train a démarré, il a roulé puis il s’est arrêté. Des voyageurs sont descendus, d’autres sont montés et il est reparti et ainsi de suite parce que  c’est un omnibus et que les omnibus s’arrêtent tout le temps, par définition. Moi, je me suis endormi. Je rêvais d’une grande plage que longeaient des rails, des rails tout étroits, étroits comme ceux d’un train miniature, miniature comme le train électrique que j’avais installé dans ma chambre lorsque j’étais enfant  et qui passait sous mon lit et sous l’armoire pour faire comme dans un tunnel, et c’est le bruit du tunnel qui m’a réveillé en sursaut parce que le tunnel précède la gare de Vendôme, la gare où je descends, vite mon sac, vite mon journal et me voilà sur le quai à regarder le cul du train qui repart dans le soleil de la campagne.

Sauf que je ne suis pas à la bonne gare, que tous les voyageurs ont disparu, que je suis seul. Le vide, les oiseaux qui chantent autour de moi, trop de bruit dans le vide, le vide du quai, au milieu du vide de la campagne, merde, je suis descendu trop tôt du train, merde, merde.

A droite du quai, les rails, à gauche, des prés avec trois vaches abasourdies par le soleil, au bout, une minuscule cabane avec une vitre percée par des trous pour laisser passer ma voix qui demande quand est le prochain train pour Vendôme. Il n’y en a pas avant vendredi mon pauvre monsieur et, vendredi, c’est dans quatre jours.

Merde, qu’est-ce que je vais faire ici, entre les champs et les prés, à attendre le train pendant quatre jours, le train omnibus.

Vous n’avez qu’à aller à l’hôtel comme tout le monde, mon pauvre monsieur, c’est là-bas, après les prés, où il y a trois vaches abasourdies par le soleil.

C’est là-bas, très loin, et le réceptionniste sue sous son ventilateur et, moi, je lui restitue toute la chaleur des trois kilomètres que j’ai parcourus pour atteindre ce fichu hôtel paumé dans la cambrousse.

Ah, mais, nous n’avons plus de chambre libre.

Mais comment est-ce possible ?

C’est que tous les clients attendent le prochain omnibus pour Vendôme qui doit bientôt passer.

Et cela fait longtemps qu’ils attendent ainsi ?

Pour certains, cela peut faire des années. Tenez : on a bien eu un décès la semaine dernière, ça a permis de libérer la 38. C’est dommage pour vous, on l’a relouée à quelqu’un qui était, comme vous, à attendre une disponibilité pour se loger en attendant le prochain omnibus.

Mais pourquoi n’ont-ils pas pris l’omnibus qui s’est arrêté tout à l’heure ?

Le réceptionniste devient tout pâle : Ah ? Parce qu’il est passé aujourd’hui ? Malheur à moi ! Je pensais que c’était demain…

Mais non, mais non, c’était aujourd’hui. J’en sais quelque chose : j’étais dedans.

Il ne fallait pas en descendre, je vous le dis. Ah ! Ils vont tous être furieux, ils vont m’étriper. Ne leur dites rien, je vous en supplie. C’est encore ce fichu agenda (il me montre un calendrier d’où on détache un page chaque jour et dont il ne reste que la dernière, au 31 décembre). Vous voyez, cela fait depuis de nouvel an qu’on doit le remplacer. Et comme je ne sais plus quel jour nous sommes, ni aucun de nos clients, nous n’arrivons plus à retrouver la date du prochain passage de l’omnibus pour Vendôme. J’en ai parlé à mon patron mais, que voulez-vous, il est coincé à Vendôme avec son calendrier neuf. Il attend le prochain omnibus, celui qui vient dans l’autre sens.




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