Ils ont fini par prendre la ville en pince par le
nord ; nous, les partisans, on devait bloquer toute tentative de sortie
par le sud. Ça ne s’est pas passé exactement comme on imaginait, parce qu’il y
a eu une controffensive au troisième jour. Très violente, ça canardait de
partout : j’ai vraiment eu peur, on n’y comprenait plus rien, tout ce
bruit qui passait au dessus de nos têtes. Et puis finalement, ils se sont rendus.
Alors, on est rentrés dans la ville ou plutôt ce qu’il en restait. Le centre
était très démoli, ça fumait encore. Quand aux abords, ce n’était pas mieux,
des tas de pierre avec, de temps en temps, un immeuble encore debout. On voyait
les détails d’architecture. Ça faisait quatre ans que je n’avais vu que des
arbres, de la boue et des morts. Shmerke a fait une plaisanterie du style que c’était
bien de rentrer en ville après les vacances à la campagne.
Quand on est arrivés j’ai demandé l’autorisation d’aller
voir chez moi. On me l’a donnée et je suis allé vers la rue Rudnicki. Je ne reconnaissais
rien, mais j’ai pu retrouver en me dirigeant par le tracé que j’avais en
mémoire du plan de Vilnius, les trottoirs, les carrefours. La maison de mes
parents était la seule du ghetto dont la façade tenait encore, avec un grand
trou derrière. Tout était vide, on voyait le ciel à travers, et surtout plus
personne, j’étais comme dans du coton. Au bout de cinq minutes, un jeune est
sorti d’une des ruines. Il tenait un sac de toile qui était visiblement plein.
Je lui ai demandé où étaient passés les gens. Il m’a regardé d’un drôle d’air. Je
lui ai redemandé un peu plus brusquement en le pointant avec mon fusil. Il a
fait un geste et j’ai tiré. Depuis, tous les matins, je me réveille avec son
visage à l’esprit.
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