jeudi 6 février 2014

[Fiction 5] East Village.


Jenny est mon amie. On s’est retrouvés à Tompkins square. Elle m’avait dit de l’attendre, qu’elle avait un truc à faire ; elle est revenue au bout de quatre heures. Ce n’est pas grave parce qu’entre temps, je me suis fait de nouveaux amis, Mike et Kim. Ils sont plutôt originaux : Kim a des clous plantés dans l’oreille et Mike une crête de cheveux rouges sur la tête. Je leur ai dit que j’attendais une amie, alors on s’est assis sur un banc et on a fumé deux ou trois joints et bu des packs de bière qu’on a lancés sur les pigeons. Quand Jenny est revenue, on est retournés dans la chambre tous les quatre. On s’était réapprovisionnés en bière qu’on a mélangé à de la vodka et les pilules que Jenny avait trouvées et on a écouté de la musique à fond sur le pick-up, j’aime bien la musique. Jenny était très excitée, elle parlait tout le temps, très fort ; Mike aussi, il parlait tout le temps. Moi, c’est Kim qui m’intéressait, avec ses clous dans les oreilles. Je lui ai touché les seins mais ça n’a pas plu à Mike, alors on s’est battus pendant que Jenny criait d’arrêter, ce qu’on a fait quand on s’est réconciliés. On a fêté ça avec deux ou trois vodkas, sans bière, et un joint qu’on a partagé, pour fêter le fait qu’on a aussi partagé Kim qui était très gentille avec Mike et avec moi.

Je ne me souviens plus très bien ce qui s’est passé le reste de la soirée, sauf que Jenny s’était enfermée dans la salle de bains et qu’elle ne voulait plus sortir, ça je me le rappelle bien. Elle criait qu’on était des monstres, qu’on venait de la planète Utopia, qu’on était tous visqueux et dégoûtants, qu’il fallait qu’elle se lave de tout cela sinon elle allait se désintégrer. Moi, j’avais terriblement envie de vomir et j’ai passé le reste de la nuit accroupi dans les WC. On s’est bien amusés quand même, mon ami Mike était en super forme, il continuait de parler et je crois bien qu’il a eu une affaire avec Jenny quand elle est sortie de la salle de bains et, de nouveau, avec Kim qui était complètement défoncée, elle, comme moi.

Au matin, on a entendu quelqu’un qui tapait sur la porte. Je suis allé ouvrir, c’était la mère de Jenny que j’ai reconnue parce qu’elle fréquentait la mienne il y a quelques années et que j’avais dû aller un jour prendre le thé chez elle, sur la 72ème rue Est. A l’époque, maman me faisait porter une culotte bleue avec un blazer et j’avais les cheveux courts. C’est ce jour là  que j’ai rencontré Jenny pour la première fois, on a joué au docteur, le docteur c’était elle, ce jour là.

Sauf qu’on est plus ce jour là et que j’ai devant moi la mère de Jenny avec un air pincé et son chauffeur derrière qui doit peser trois fois mon poids. Elle me traite, avec son air pincé, de drogué et de pervers, qu’il faut que je ne touche plus jamais un cheveux de sa fille, sinon j’aurais affaire au monsieur qui est derrière elle et qui, à titre d’avertissement me casse trois dents avant d’embarquer Jenny qui hurle dans l’escalier qu’elle ne veux pas y aller, qu’elle veux rester ici, pas uptown et qui m’appelle et moi je me relève et je les poursuis et je la vois, pour la dernière fois, dans la grosse Lincoln de sa mère qui démarre et qui tourne au coin de la rue et qui disparaît dans la circulation de la 1ère avenue, vers le nord, avec Jenny qui crie encore dedans, Jenny, mon amie.

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