Bernie aime sa femme, elle est française, alors il aime la France
et il a choisi d’appeler son hôtel Le
Trianon, c’est tellement chic, un nom français. Et puis, pas loin, il y a
bien Le Fontainebleau, Le Sans-Soucis,
Le Versailles, ça ira bien dans le
goût du jour. Bernie aime aussi les jardins, alors il a dessiné un beau
parterre à la française, avec des dentelles de buis qui représentent des
animaux fantastiques. Et comme rien n’était trop beau pour accueillir les
clients, c’est un succès dès la première saison, les Cadillacs défilent, les businessmen
ont fait le voyage en bimoteur, le gouverneur est venu en
famille pour l’inauguration, on ne le voit d’ailleurs pas car il a en horreur
le soleil et la chaleur mais ce n’est pas bien grave, tout les clients de l’hôtel
savent qu’il est là, comme d’ailleurs les movies stars les plus en vue du
moment dont on voit les corps parfaits prendre le soleil le long de la piscine
olympique ou y plonger en un plouf impeccable (tu as vu ? c’est Jenny
Lamberts. Mais si, puisque je te le dis, je l’ai bien reconnue etc.) Il y a
même un film tourné dans les jardins, un thriller idiot mais ça permet d’ajouter
des photos dans le lobby : Le Trianon est devenu mythique, un must du
Beach.
Puis, il y a la crise. C’est dur pour tout le monde et il y a
moins de clients. Bernie doit maintenir un certain niveau de service, les
banques l’ont rappelé à son bon souvenir, alors Bernie vend l’hôtel à un groupe qui lui a promis de le maintenir
comme il était, mais les promesses, vous savez ce qu’on en fait, n’est-ce pas ?
Ils en ont fait des appartements loués pour des vacances pas chères et le
jardin a été bétonné, car tout le monde a une voiture maintenant et il faut
bien les garer quelque part. On a oublié Bernie et son bel hôtel.
C’est Winnie qui a relancé tout ça bien des années plus tard.
Elle a publié quatre ou cinq articles bien sentis dans une revue d’architecture
et c’est reparti, le Beach est redevenu une destination chic, on s’y bouscule,
exit les pauvres, place aux cocktails sophistiqués, aux filles dénudées et à la
musique planante. Le Trianon a été rénové par un décorateur belge de renom, c’est
superbe, bluffant, énorme, psychédélique. Alors on invite Bernie. On l’a
retrouvé qui végétait dans une petite maison à moitié en ruine du quartier
portoricain. Sa femme est morte depuis longtemps et, lui, il est pratiquement
aveugle, mais c’est pas grave, on le promène dans le lobby, sur les terrasses,
on lui fait faire le tour de la nouvelle piscine, en forme de lyre, et de son
jardin, le jardin de Bernie. Mais Bernie ne voit rien, il sent juste l’odeur
des parfums que des diffuseurs automatiques répandent dans le allées.
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